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au soir de la pensée

contraint de prendre acte des évolutions incessantes de l’homme de tous les temps.

Au spectacle des évolutions organiques, nos abbés de la métaphysique demeurent cois, sans explications. Non qu’ils soient particulièrement troublés par le phénomène de telle ou telle évolution, comme celle de l’organe visuel, par exemple, dont ils se tirent par un tour de finalisme à la portée de toute ignorance[1]. C’est l’évolution cérébrale devant laquelle ils ont reculé par anticipation — après avoir créé, pour les besoins de la fonction cogitative, l’entité âme, immuable, qui ne peut s’accommoder aux faits de mutation. En revanche, dès que la prédominance mentale aura mis l’homme en voie de « civilisation », l’évolution psychique va devenir, avec toutes les corrélations inévitables[2], la clef authentique de son évolution positive. L’histoire, si incohérente qu’elle ait été et qu’elle soit trop souvent encore, nous montre, au cours des âges, l’homme en ascendance, selon des lignes d’évolutions déterminées par des efforts conscients de connaissance vérifiée.

Nous résumons ces annales en disant que l’homme passe, ou tend à passer, de la sauvagerie primitive à des compositions de règles plus ou moins heureusement ordonnées, constituant un ordre social, en vue d’un achèvement éventuel de vie policée, sauf retours offensifs des égoïsmes sans frein venus de la primitivité. Ce sont ces alternances rythmées d’élans vers le meilleur et de régressions dans le pire, que nous dénommons fièrement « civilisation » — désignant par là de hautes aspirations de structure incertaine, simultanément suivies d’heureuses conquêtes et de défaillances déguisées sous des mots trompeurs. Si l’on réfléchit qu’il s’agissait, d’abord, de passer de l’anthropophagie et de l’esclavage (encore subsistants en œrtains pays) aux douceurs du Bouddha, du Christ et de saint François d’Assise, on reconnaîtra que de notables résultats ont été obte-

  1. De la sensibilité du derme à la lumière, jusqu’à la tache de pigment dont l’évolution produira l’organe oculaire, des transitions indéfinies nous montrent la formation de la plaque rétinienne sensibilisée, où le monde va laisser l’impression de son image, origine des premières formations d’émotivités, de pensées.
  2. C’est ainsi qu’au cours du redressement, par exemple, l’effort d’une mentalité grandissante dut aider d’une manière notable, l’accommodation, nouvelle en voie de s’accomplir.