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La civilisation

conformer. Les premières réactions de nos sensations au contact du monde extérieur se trouvent ainsi d’un prix incomparable pour notre compréhension de nous-mêmes, parce qu’elles nous fournissent l’authentique témoignage des originelles connaissances et méconnaissances où durent s’engager les premiers humains, jusqu’aux éventuels processus d’observations vérifiées que les siècles ont charge de fournir.

Hélas ! L’événement nous montre que l’évolution des primitives méconnaissances doit d’abord s’achever, au cours des âges, avant que les premiers états de compréhension positive puissent s’insinuer dans le substratum compact de l’inconnu. Alors, qu’arrive-t-il ? C’est que les simplicités imaginatives, fortes d’un texte révéré dont la juste critique se dérobe, s’attachent éperdument à la lettre trompeuse, comme au seul instrument de salut. Si bien que l’alternative à laquelle on prétend nous réduire est de vivre les conceptions d’un temps ou l’homme ne pouvait concevoir que d’imagination, sans tenir compte des connaissances positives et des généralisations qui s’ensuivent.

Notre Bible nous présente l’homme dans une schématique fixité d’organisme, avec des réactions mentales de fortune d’où toute idée de culture, ou même de la plus simple éducation mentale, est bannie. Point d’autre activité intellectuelle que ce qu’il en faut pour obéir sous peine de châtiment. D’un développement d’intelligence, avec des résultats d’achèvement individuel et social, pas trace d’une notion. Ni progrès entrevu, ni même simple mise en chemin pour des destinées qui nous feraient passer de l’état originel aux achèvements de la connaissance, représentée comme une faute. Nulle doctrine d’une civilisation à attendre de ce chaos — pas même une apparence. Sans l’heureux manquement qui les mit au labeur, les fils d’Adam se trouvaient exclus d’un devenir. Qu’eussent-ils fait de leur jardin qui n’avait pas même besoin d’être cultivé ? Le délit étant d’avoir voulu connaître, nulle autre ressource pour nos pères que de s’enfoncer dans l’ignorance native et de s’y figer.

Puisque le procès de l’intelligence, qui allait suivre, était de savoir si nous devions lui faire d’autant plus de confiance que ses erreurs peuvent être à tout moment rectifiées, le sort de l’homme fut décidé du jour où il s’abandonna aux activités de la puissance évolutive qui l’avait mis sur les deux pieds. De là