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Les âges primitifs

l’enchaînement des générations dont l’intelligence naissante a fait effort vers ce que j’appellerai des protoplasmas de problèmes qui ne se peuvent encore déterminer[1]. Enfin, le symbole lui-même, le menhir-phallus, emblème de la génération, postérieur, sans doute, au dolmen, et si vivace que nous en retrouvons la profusion dans tous les groupements humains, notamment dans l’Inde où il est encore l’objet d’un culte surabondant, témoigne très haut de rites où les conceptions d’une mystique ne cherchent pas à se dérober.

Les temps suivent leur cours et les dolmens et leurs dallages se couvrent peu à peu de représentations d’outils ou d’ornements parmi lesquels on voit apparaître des mains, des pieds, et même l’image d’un mammifère inconnu. Je ne puis voir là que des cultes qui se disputent l’appropriation d’un monument dont le sens originel s’est perdu. Ne rencontre-t-on pas devant une église de village, près de Quimper, un menhir accolé d’un ange classique aux grandes ailes ?

je me borne, comme on peut voir, aux suggestions d’aspect, faute d’indications plus claires. Je ne doctrine point. Si le menhir se manifeste d’abord en symbole génésique, on ne l’en voit pas moins évoluer plus tard en des représentations anthropomorphiques. Les menhirs tourmentés des îles Orkney paraissent assez bien représenter une assemblée de personnages figés en des gestes de tragédie. Ils préparent les voies aux menhirs grossièrement sculptés en formes de personnages, et, par eux, aux statues de l’île de Pâques dont nous ne savons rien[2]. Tous ces monuments sont d’époques fort différentes. Dans quelles étendues de temps les encadrer ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir. Le menhir est plus sommaire que le dolmen, qui eut besoin d’un

  1. Ce mouvement s’est même continué plus longtemps qu’on n’aurait pu croire. Du moment où l’on attribua ultérieurement aux mégalithes le caractère de tombeaux, des précisions cultuelles devaient intervenir. On trouvera dans l’ouvrage de M. de Nadaillac deux gravures, face à face, représentant l’une un dolmen de l’Oise, l’autre un dolmen semblable de l’Inde ; tous deux présentent la même particularité d’un trou circulaire percé dans la cloison du monument par l’outil exercé d’une date très postérieure. Il semble bien qu’on ait voulu ménager ainsi l’issue de l’esprit, du souffle, de l’âme immortelle. Ce serait le premier monument de la métaphysique. Il n’en manquait pas d’autres.
  2. On peut voir l’une d’elles à notre Muséum. Le British Museum en possède deux d’une saveur toute particulière.