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Les âges primitifs

chambres, précédées d’alignements et circonscrites par des séries d’enceintes, il y a un abîme qui ne peut pas être franchi d’un bond d’imagination[1]. Les tas de pierres du désert s’expliquent sans peine. Il n’y a pas d’autre monument possible en un tel lieu. Une pierre droite en terre fait fonction de borne indicatrice, en tous pays. Procéder du caillou à la masse gigantesque dépassant les forces humaines, voilà ce qui arrête notre élan d’hypothèses et nous oblige à reconnaître que : nous comprenons d’autant moins qu’on ne voit pas de transition architecturale de quelques individus doués d’un potentiel de privilège à la foule de tous rangs confondus. »

Cependant, menhirs, dolmens, cromlechs, tant par eux-mêmes que par leur nombre et leurs dispositions, visent à l’expression d’un état d’entendement. Qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Nulle trace d’une signification astronomique. Notre pays fut jadis couvert de ces assemblages d’édifices rudimentaires qui furent peu à peu débités en des constructions de murailles. J’en connais, moi-même, qui sont tombés sous le marteau, laissant des restes informes qu’on peut suivre à la trace des alignements. Ce qu’il en reste à travers le monde serait plus que suffisant pour justifier une étude approfondie des relations des monuments entre eux aussi bien que de leurs rapports avec les territoires où ils sont rencontrés. Personne ne s’est encore présenté pour s’attaquer utilement à tant d’obscurs problèmes. Le livre de M. de Nadaillac sur les monuments des peuples préhistoriques n’est qu’une vague ébauche — précieuse, cependant, par ses suggestions.

Ce qui déroute les recherches, tout d’abord, c’est que les peuples qui ont passé devant les monuments mégalithiques n’ont pu se tenir de les interroger sur les mystères d’un passé dont ces grandes pierres paraissaient le symbole oraculaire, et d’y inscrire en même temps le témoignage de croyances qu’il s’agissait expressément de rattacher au passé. Mais si les architectes primitifs s’étaient trouvés hors d’état de formuler

  1. On ne s’étonnera pas moins des dispositions du Serapeum où d’énormes monolithes dans les profondeurs de la terre recevaient les momies du « Bœuf Apis » embaumé. Le plus extraordinaire achèvement est peut-être des voleurs qui, à la recherche des bijoux, ont déplacé et replacé cuves et couvercles au cœur de ces installations souterraines.