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franchi d’un même pas les premiers degrés de cette évolution ? Cela même, au point d’édifier, par toute la terre, d’identiques monuments d’un même état de mentalité ?

Il s’explique très bien que les premières activités d’intelligence aient dû se manifester en des formes similaires, que les mêmes dangers aient entraîné les mêmes procédures de résistance, et les mêmes besoins de prévoyance, les mêmes instruments de primitive industrie, comme les mêmes vanités de parures ont amené les mêmes figurations d’ornements. On ne s’étonnera point de rencontrer de toutes parts en tous pays, parmi des débris de pierres tumulaires, des flèches, des haches, des marteaux, des râcloirs, des polissoirs, des colliers, des bracelets, des bagues, des instruments de toilette ou d’industrie aussi bien que de guerre. En tous lieux, les fils du pithécanthrope se trouvaient primitivement contraints d’aborder le Cosmos dans des conditions analogues, et l’on comprend très bien que les divergences n’aient commencé qu’après ce premier stage.

Mais quand on avait tué l’ours, le bison, le sanglier et qu’on s’était partagé sa chair à la force du poignet, quand on avait fait cuire la poterie, fondu le vase, l’arme ou l’ornement de bronze, forgé plus tard quelque levier de fer, protégé la famille et sa hutte en diverses formes d’ingéniosité, le champ restait ouvert aux premières manifestations communes de mentalité, d’émotivité sur lesquelles le mouvement général des rapports et des intérêts allait s’établir. Que le culte des morts fut des premiers à se manifester, je ne crois pas qu’il y ait de discussion là-dessus. Des analogies de rites ne pouvaient pas ne pas se produire. Cependant personne ne pourrait soutenir la thèse d’une identité générale de sépultures. La mort brutale qui venait enlever à chacun ceux qui lui étaient chers, suscitait inévitablement des désirs, des espérances d’un meilleur état d’humanité à doctriner par la suite des âges. Tout au moins voudra-t-on perpétuer le souvenir du mort par quelque signe extérieur de pierre ou de bois. Cela paraît s’être fait de toujours, comme il se fait encore.

Mais de là à accomplir l’inexplicable effort de transporter et de disposer d’énormes blocs rocheux au-delà même de ce que nous permettraient les engins mécaniques dont nous pouvons disposer aujourd’hui, pour les ériger en des formes de