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au soir de la pensée

Il y aurait trop à dire des rapports de l’homme, en ses évolutions, avec le monde vivant. Les premières sociétés d’anthropoïdes humanisés furent nécessairement des plus rudimentaires. Nos singes actuels donnent d’assez remarquables exemples de sociabilité. Ils se précipitent à la commune poursuite d’on ne sait quelles figurations flottantes, qui, tout à coup, s’évanouissent au heurt d’une nouvelle fantaisie. Ce qui leur fait défaut, surtout, c’est la continuité, la constance de l’effort vers un but déterminé : le caractère. Avec certains mouvements des sociétés humaines, il y a des analogies.

De l’animal à l’homme, le compte final des rapports cultuels se réglera, du fétiche totémiste à la vache sacrée de l’Inde, selon des formes rituelles qui conduiront parfois le Dieu et le fidèle à des excès de familiarité. Bénarès vit dans la tyrannie de la vache sacrée. On sait quel cas faisait le Romain de ses poulets sacrés.

Dans ces vestiges d’un culte fétichiste, accommodé aux premiers besoins d’une mentalité de sauvages, se trouvent les débuts du rite de la communion alimentaire tombant à l’extravagance de la théophagie par laquelle les totémistes croyaient s’assimiler quelque ineffable élément de la Divinité. N’est-ce pas encore l’intention hautement proclamée de nos théophages d’aujourd’hui ?

L’un des rites du culte dionysiaque consistait à dépecer des victimes vivantes et à manger leur chair crue, pour s’assimiler le caractère divin du Dieu à qui elles étaient consacrées. Les légendes d’Orphée et de Penthée nous offrent des scènes analogues. C’est l’omophagie. Une coupe du British Museum nous montre deux ménades ivres brandissant l’une la jambe, l’autre le bras de la victime. Avant la bataille de Salamine, Thémistocle immola trois prisonniers perses. On ne dit pas qu’ils aient été mangés. Nos théophages modernes s’en tiennent à la mimique. Acte leur soit donné du progrès.