Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
l’atome

venait à se découvrir ? La mécanique céleste, définitivement reconnue, implique la mécanique universelle. Des masses énormes, séparées de nous par des espaces déconcertants, s’attirent, ou semblent s’attirer en raison inverse du carré de la distance. Rendue plus puissante par notre propre ingéniosité, notre vue découvre, à l’autre extrémité des profondeurs, « d’infiniment petites masses dénommées atomes, évoluant à des intervalles non moins énormes par rapport à leurs dimensions, et décrivant des orbites suivant des lois régulières. Ce sont les atomes. Comme les astres proprement dits, ils s’attirent ou se repoussent, et cette attraction ou cette répulsion, dirigée selon la droite qui les joint, ne dépend que de la distance. « La loi suivant laquelle cette force varie en fonction de la distance n’est peut-être pas la loi de Newton, mais c’est une loi analogue »[1]. Des formes et des degrés de cette analogie dépendrait toute la variété des phénomènes universels.

Impassible, sous les dédains de la métaphysique et des théologies comme sous les glorifications de la philosophie naturaliste, l’atome, devenu le Dieu des athées dans l’effondrement du polythéisme hellénique, nous fut offert pour clef de la serrure des choses, passe-partout de l’univers. Ce sont des grandeurs dont il faut revenir. De là surgit aux yeux de Pascal la géniale vision d’une même formule d’activité de l’infiniment grand à l’infiniment petit, et c’est précisément le spectacle que les électrons, en translation rotative autour du noyau atomique, semblent réaliser. Il n’aura même pas manqué à la gloire de l’atome l’outrage des blasphémateurs[2].

Sans être inaccessible, comme celui de Jahveh, le sanctuaire de l’atome est encore fortement barricadé. La sibylle de Cumes a laissé son antre vide jusqu’ici. L’atome qui n’a, tout comme la sibylle, le dernier mot de rien, nous donne simplement le spec-

  1. La valeur de la science, Henri Poincaré.
  2. « On se représente l’univers, écrit tranquillement M. Bergson, comme un amas de matière que l’imagination résout en molécules et en atomes… Rien de plus problématique que l’existence de l’atome ». (Données immédiates de la conscience.) Si les molécules dont les mouvements browniens nous décèlent la présence, et les atomes de sir Ernest Rutherford ont des conversations entre eux dans le sein de la nébuleuse, je voudrais les croire mieux renseignés sur l’existence de M. Bergson que celui-ci sur la leur.