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les âges primitifs

connaissaient le feu et vivaient de leur chasse — hommes très reculés au regard des modernes, très avancés au regard de la race de Java. Filiation directe ou indirecte, il n’importe guère qu’il y ait eu, ou non, métissage.

Il s’en faut de beaucoup que l’homme des cavernes soit le premier anneau de la chaîne d’humanité primitive où l’humble pithécanthrope puisse se rattacher. À quel moment du quaternaire l’homme se serait-il manifesté ? On discute. Comment que la question soit résolue, si elle doit l’être, il est certain que nos ancêtres avaient déjà une longue histoire inexprimée quand un besoin d’expression surgit en eux, aidé d’instruments grossiers.

Voici donc une capitale époque d’humanité vivante qui avait échappé longtemps à notre observation. Pour ceux qui cherchent le premier homme, ce peut être un désappointement de ne point le rencontrer ici. L’état de « premier homme » implique une série de filiations que nous essayons de jalonner. Pour m’en tenir aux données élémentaires, les crânes de Néanderthal et de la Chapelle-aux-Saints sont d’hommes bien antérieurs à celui de Cro-Magnon. Celui-ci parlait-il ? C’est possible. On ne lui accorde guère, jusqu’à nouvel ordre, qu’un rudiment de langage articulé. La voûte crânienne du pithécanthrope javanais permet beaucoup de suppositions aboutissant au doute sur la question de savoir si c’est un anthropoïde (et de quel ordre?) ou un homme qu’on a l’honneur d’interroger. On voit qu’en dépit de toutes les cosmogonies « révélées » il n’y a guère de chances pour que nous rencontrions tout justement les vestiges d’un mammifère sur deux pieds dont nous puissions dire, en pleine connaissance de cause, qu’il est l’exemplaire, si longtemps attendu, du « premier homme » qui ait été.

C’est que l’évolution morphologique de la structure générale, avec le lent développement de ses activités, demande un temps incalculable pour le cours de transitions insensibles que nous ne saisirions même qu’inductivement, si le sujet lui-même était sous nos yeux. En ce cas, comment se prononcer sur l’ensemble des caractères pour tracer une hypothétique ligne de démarcation entre le plus humain des anthropoïdes et le moins simiesque des humains — surtout s’ils se présentaient, comme il serait fatal, en de nombreuses lignées?

Il en faut prendre son parti. Le sujet ne se montrera jamais