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au soir de la pensée

de nous en ce point. Dressé sur ses branches — fémur droit, comme nous-mêmes — il nous impressionne vivement par l’habitus de ses attitudes humaines. On ne peut le regarder sans tressaillir, car il évoque, à notre égard, une suggestion de parenté plus proche que le singe. Je ne serais point étonné qu’il en fût ainsi.

Puisque toutes les évolutions se sont croisées pour se contrarier ou se rejoindre, notre filiation représente, sans aucun doute, une somme de déviations et de retours indescriptibles, dont la trace s’est perdue. Les faibles résistances n’en finissent pas moins par maintenir les directions des grands efforts organiques vers des développements plus compréhensifs et, partant, plus durables. Nous reconnaissons clairement aujourd’hui le phénomène de la descendance. Mais pour le décrire dans ses différentes parties, il nous manque encore trop de documents. Le tarsier nous fournit un capital point de repère. L’évolution générale dont il est l’une des caractéristiques nous ouvrirait sans doute, si nous pouvions la reconstituer, de nouvelles avenues.

De même, l’œil pariétal de certains reptiles (comme le hatteria, de la Nouvelle-Zélande) fut pour nos savants une grande surprise. Nous en retrouvons la trace authentique dans de nombreux fossiles. On a même voulu que notre glande pinéale fût un reste du troisième œil que nous aurions porté au sommet du crâne, entre nos pariétaux. Je ne m’en porte point garant. Mais de la sensibilité du derme à la lumière et de la tache pigmentaire de l’infusoire à l’œil humain, le troisième œil du hatteria nous permet d’entrevoir des aventures d’évolutions, comme celle dont l’existence du tarsier demeure un vivant témoignage.

Le simple fait que tel singe fossile du pliocène est plus proche de nous que notre chimpanzé contemporain montre assez que, si la filiation générale est positivement reconnue, il ne s’ensuit pas du tout qu’elle ait procédé par l’enchaînement direct des organismes présentement sous nos yeux. Que d’évolutions inconnues se sont succédé jusqu’à la nôtre, en d’innombrables ramifications, tandis que, dans le monde vivant d’aujourd’hui, des successions d’évolutions épuisées ne font qu’attester par quelques caractères la très ancienne existence d’un tronc commun.