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au soir de la pensée

la manifester. Enfin, nos classifications n’étant rien de plus qu’un artifice d’intelligence, il faut reconnaître que les phénomènes cosmiques n’ont pas à en tenir compte, pas plus que nos rapprochements d’analyse qui font le classement des espèces, ne peuvent faire obstacle aux réalités profondes de l’universel enchaînement, hors duquel il n’y aurait que discordances et soubresauts catastrophiques, tandis que la durée conditionne toutes les magies de l’évolution.

Pour les simiens, les hominiens[1], le pithécanthrope et les fossiles où se rencontrent, sur le même sujet, les caractères simiens et humains tout ensemble, la voie commence d’être déblayée. Cependant, nous nous trouvons encore loin de compte quand, par le moyen des observations recueillies, nous essayons de préciser nos points de repère. Non que le schéma général en soit aucunement menacé. Mais dans le champ immense de la durée, nous voyons surgir un nombre incalculable d’embranchements croisés qui doivent se rejoindre en des milliers et des millions de formes différenciées, pour aboutir aux grandes lignes de descendance successivement tracées.

Il n’y a rien là qui ne soit dans les naturelles données des mouvements élémentaires. Toutes les énergies du Cosmos sont éternellement aux prises dans l’espace et dans le temps. Le principe de la moindre action décide de l’issue. Tout s’essaye indistinctement. Ne se maintiennent, en des formations provisoires, que des passages d’énergies prédominantes où l’enchaînement universel met l’apparence d’un plan, à la seule condition de prendre l’effet pour la cause. Qui s’est arrêté, un moment, aux complexités des processus d’où sont issus les mammifères, ne se laissera point déconcerter par les inextricables détours des passages de l’anthropoïde à l’hominien et de l’hominien à l’homme fait.

  1. Dans l’impossibilité de saisir nettement le passage du simien aux déterminations caractéristiques d’un commencement de l’humain, il a fallu créer ce genre indescriptible où entreront, avec le fossile de Java, tous les débris des pithécanthropes découverts ou à découvrir ! Il s’agit de combler le vide de l’anthropoïde à l’humain caractérisé. La limite s’en trouve nécessairement imprécise aux deux bouts de la chaîne. Les continuités de l’évolution veulent qu’il en soit ainsi. Il y a là, manifestement, une très longue série de développements intermédiaires, avec des complexités d’évolutions entre-croisées, dont la synthèse, à travers des fortunes inconnues, a donné l’homme d’aujourd’hui.