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au soir de la pensée

Qui a pu rassembler les éléments constitutifs de sa mentalité ? Quelles manifestations d’une « religion » particulière ? Dans l’enchaînement de l’anthropoïde à l’homme, comment saisir les transitions d’une croissante mentalité simiesque en liaison d’une manifestation d’humaine intellectualité ? Vouloir, comme notre sacerdoce, que la pleine lumière se fasse d’emblée sur ces problèmes, sans contrôle d’épreuves, est trop manifestement contraire aux humaines possibilités.

Peut-on vraiment s’étonner qu’au cours de la série animale, qui procède des ancêtres les plus reculés du pithécanthrope à Lamarck lui-même, nous échappent les relais vraiment caractéristiques des phénomènes ? Dans l’évolution des sensations pithécanthropiques et des réactions de pensées humaines développées au cours de la descendance, comment saisir l’un des exemplaires en qui se serait faite la réalisation magique de l’anthropoïde humanisé ? Tout au plus, peut-on suivre l’enchaînement des êtres par un repérage des lignes d’évolution mentale qu’une atavique succession d’intelligences primitives a pu obscurément manifester.

Les premiers hommes, comme les derniers anthropoïdes, cherchèrent, animalement d’abord, des remèdes à leurs misères. Au prix de quels efforts et de quelles déceptions ! Il semble que le singe soit l’un des plus fragiles parmi les mammifères. Il ne peut supporter un changement de climat. Nos anthropoïdes ne paraissent pas mieux partagés, et l’homme lui-même se voit livré, sans défense, à tant de fortunes mauvaises qu’on a peine à comprendre comment sa race a pu s’y soustraire jusqu’à l’organisation des résistances décisives que son intelligence accrue a pu lui suggérer. De construire des religions, monothéistes ou autres, en ce temps-là, probablement n’avait-il cure. L’homme était trop proche encore de l’animalité.

Des sursauts de tous ordres aux premières implorations d’un culte élémentaire adressées à n’importe qui, à n’importe quoi, pierre, arbre, bête ou humain même, dans des conditions ignorées, le premier pas allait être franchi. Cependant, il fallait tuer pour vivre, et se nourrir même parfois de la chair du prochain. Il fallait se couvrir, s’abriter, se réchauffer, et si l’on peut admettre un vrai coup de théâtre, ne fut-ce pas celui de la découverte du feu ? Du feu, si merveilleusement développé de