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au soir de la pensée

Si insuffisante que soit notre connaissance de l’homme quaternaire, nous ne pouvons lui refuser l’éclat d’un début dans les manifestations caractéristiques de la pensée. Ces humains vécurent d’une vie animale impérieuse, aux nécessités de laquelle nul organisme ne peut se soustraire, mais parmi les développements d’une mentalité croissante qui apportait aux organismes évolués de naissantes orientations de sensibilité. Ces nouveaux venus eurent faim, ils eurent froid, ils eurent peur des choses et d’eux-mêmes — de ce qu’ils voyaient et de ce qu’ils ne voyaient pas. Leur caractéristique est d’un développement de connaissance qui demandera des temps sans mesure pour une conjugaison de sentiments et de pensées dont nous avons, à ce jour, les résultats sous les yeux.

Que les premiers hommes, éblouis de leur propre aventure, n’aient pu que l’attribuer à un « miracle », qu’était-ce donc, sinon avouer, en une forme de naïve vanité, qu’une interprétation positive du phénomène leur faisait défaut ? Le gauchissement des premiers pas ne fut-il point de fatalité ? Qui donc, des premiers interrogateurs des choses, aurait pu reconnaître qu’il ne comprenait rien de lui-même et du monde, pour se voir réduit à abandonner toute enquête ultérieure ? L’erreur n’est pas de compte quand le renoncement à la connaissance par l’abdication de notre personnalité, nous ramènerait, d’une évolution régressive, aux échelons de l’animalité. Mieux vaut se casser la tête au « miracle », se faire un Cosmos d’hallucinations entitaires pour y installer un fantôme divin de nous-mêmes, puisque le choc de nos aberrations aux positivités de l’expérience nous amènera, par une succession de conséquences inévitables, aux relativités des lumières humaines, c’est-à-dire à, l’œuvre d’une connaissance de sensibilité. Sans la première méprise de notre connaissance aberrante, il n’y aurait point pour nous, aujourd’hui, de « vérité ».

Ainsi s’ouvre le grand débat de l’homme pensant avec sa personnalisation de l’absolu. Pour le résultat, comparez la Genèse biblique avec la cosmogonie de Laplace, et le problème ne pourra même plus se poser des progressions continues de l’expérience humaine au regard des régressions continues de la Divinité.

Si l’origine divine de l’espèce humaine nous conduit à répu-