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au soir de la pensée

Des espèces d’animaux, sans doute, font des merveilles, sans même posséder l’avantage d’un cerveau. Mais ils ne peuvent que se répéter machinalement — exception faite de quelques tentatives d’apprentissage, et, hors de leur champ d’activités coutumières, ne donnent aucun signe d’une diversité de moyens. Il n’est pas besoin de faire observer que notre cas est très différent. D’abord, les complexités de notre état grégaire exigent des complexités de relations incessantes pour donner vie courante aux organismes associés. Surtout, la fabrication et l’usage des premiers outils, le travail de la terre, l’entretien du foyer, les pratiques de la chasse, de la pêche, l’art du bois et de la pierre, gravure, peinture, modelage veulent des traditions, des formules d’application, qui ne se peuvent transmettre ni même concevoir sans le secours du langage. C’est donc sur l’œuvre de la parole que notre attention doit d’abord se porter. Je cherche à condenser, autant qu’il m’est possible, le peu que nous pouvons savoir des commencements humains[1]. Lier, selon la méthode positive, les documents que nous avons commencé de réunir pour en tirer les annales coordonnées des premières manifestations de vie humaine, est une entreprise qui dépasse, à trop d’égards, nos présents moyens. Les terrains fouillés jusqu’à ce jour sont d’insignifiance en comparaison de ceux qui attendent la pioche des chercheurs.

Sans doute, il a fallu l’équivalent d’un « miracle » pour que fussent sauvés de l’universelle décomposition des débris d’ossements comme ceux du Trinil à Java, de Néanderthal, de la Chapelle-aux-Saints, de Piltdown, ou de Cro-Magnon. Mais puisque le « miracle » s’est produit en des points que notre chance fut de rencontrer, pourquoi nous serait-il interdit d’en vouloir tirer davantage pour les premiers jalons d’une connaissance en voie d’accroissement ? Depuis des milliers et des mil-

  1. On ne me demandera pas de m’étendre sur la multiplicité des origines humaines. Les « Livres Saints » se sont bien gardés de toute « Révélation » à cet égard. Du point de vue expérimental la question est la même, quels que soient le nombre et les conditions des engendrements. Le problème sera tôt ou tard inévitablement repris. Jusque-là tout concourt à nous faire croire que sur des continents différents (dont quelques-uns sont aujourd’hui peut-être au fond de la mer) des effets climatériques différents ont produit des résultats différents.