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au soir de la pensée

La simple coordination des moyens de défense ou d’agression qui s’est perpétuée chez les espèces animales décèle des successions indéniables de desseins continus en vue de satisfaire des besoins primordiaux. Les mœurs des anthropoïdes divers et des premiers humains eurent besoin de temps pour se différencier. Aujourd’hui encore trop de ressemblances évoquent des impulsions de primitivité.

L’éternelle succession des transitions insensibles ne nous amène-t-elle pas à comprendre que nous n’avons pas plus à nous représenter le dernier anthropoïde que le premier humain, faute de caractéristiques qui ne sont propres aux classifications subjectives qu’avec de longues successions de temps ? L’imaginative Révélation veut des coups de théâtre. L’expérience est de lentes transformations. Par routine inévitable, nous nous obstinons encore à sérier l’évolution universelle en compartiments de subjectivité, alors que, pour bien entendre l’activité du monde, il faut se rendre à l’expérience d’un infrangible enchaînement qui ne nous montre, dans l’univers, qu’un phénomène de l’infini, un phénomène de phénomènes qui ne se peuvent séparer. Nos humains primitifs, livrés aux générales accoutumances des aïeux animaux, continuèrent la recherche commune d’alimentation — satisfaits de tout ce qu’ils trouvaient, chassant, pêchant, tuant[1], au hasard des rencontres, parfois avec de vagues engins grossièrement appropriés. Plus tard, tous instruments de silex éclaté, de pierre polie, d’os taillés, percés, gravés, sculptés, sous des amas de cendres, révéleront, par l’adaptation plus serrée des outils aux besoins[2], une systématisation de volontés convergeant au foyer familial, première assise de la civilisation en devenir.

Charbons, ossements animaux et humains, aux grottes, aux

  1. Nous avons reçu de la bête atavique la fatale tradition des tueries, évoluées jusqu’aux brutales machineries des abattoirs. Cependant, le progrès du mécanisme guerrier, confondant et dépassant tous les autres, n’a fait qu’accroître, dans une effroyable mesure, l’effusion du sang humain. Mise en balance avec les inutiles massacres de nos guerres, l’anthropophagie a l’excuse de la faim.
  2. On peut voir au musée de Saint-Germain l’infinie variété des instruments à toutes fins que l’ingéniosité de l’homme préhistorique réussit à tirer de la pierre, avant d’avoir pu soupçonner le métal dont la possession, date décisive de son histoire, lui assurera la maîtrise des éléments jusqu’au point que nous admirons aujourd’hui. Il y fallut seulement la découverte du feu.