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au soir de la pensée

racconfirmations couruent. La science colligeait sa documentation. Le temps des polémiques d’ignorance était passé. Empêtrés jusqu’alors de Genèse Biblique, nous avions enfin conquis le droit de nous connaître. Il ne s’agissait plus que d’en user.

Je n’ai pas à décrire ici les premiers instruments de l’homme primaire, dont le musée de Saint-Germain et les collections privées nous offrent de si curieux échantillons. Il suffit de dire qu’on a rencontré d’innombrables exemplaires de l’outillage primitif dans tous les pays du monde, et que le premier sujet d’étonnement est de leur universelle identité. Rien de plus naturel, puisque les mêmes besoins devaient amener en tous lieux les mêmes réactions des mêmes organismes, avec diversité seulement dans la matière travaillée. Il apparaît qu’un premier stage de civilisation rudimentaire a dû être tout près de l’uniformité. En un certain moment de la pierre ouvrée, s’est accompli le passage de l’homme sauvage à l’homme ouvrier, caractérisé, plus tard, par la possession du métal qui suppose le feu.

Animale, c’est-à-dire spontanée plutôt que réfléchie, fut la vie de ces âges, par nécessité. Climat aidant, des races, de résistances supérieures, sont chanceusement demeurées. Que de temps s’écoula dans les tâtonnements d’une mentalité grossière, au hasard des rencontres, pour les fortuites satisfactions des nécessités de la vie ! Fuir le fort et se jeter sur le faible : il n’y avait pas d’autre issue. Les aïeux du pithécanthrope avaient passé par là. Quand on ne disposait pas encore du feu, les chances ne pouvaient être que d’armes primitives et d’instinctives ruses qui s’opposaient dans les confusions de la sauvagerie. L’évolution cherchait ses voies obscures[1] à travers les à-coups d’un besoin supérieur de conservation à tout prix.

  1. Des divergences d’évolutions suivies s’attestent chez la gent simiesque très notablement. Le chimpanzé semble frapper aux portes de l’intelligence humaine. L’orang-outang est si humble, si soumis, qu’il paraîtrait avoir pris son parti de cette universelle domination des choses dont l’inquiétude devait susciter, chez l’homme, les grands rêves d’émotivité. Le gorille, d’ossature formidable et de crocs sans pitié, est un monstrueux conquérant avorté. Et notre herculéen pithécanthrope, issu d’on ne sait quel tronc commun chargé de tous ces potentiels (avec d’autres encore), nous laisse, semble-t-il, la trace d’une évolution de puissance organique qui va tout emporter. Bondir des vestiges de Java jusqu’aux crânes de la Chapelle-aux-Saints et de Néanderthal est un saut d’envergure. Moins prodigieux, peut-être, que de la Chapelle-aux-Saints jusqu’à nous.