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au soir de la pensée

et quand nous passons des méconnaissances ataviques aux rectifications de l’expérience coordonnée, c’est encore le redressement humain qui se poursuit pour accorder les résonances de l’entendement avec celles du Cosmos. De cette évolution d’une conscience progressivement redressée, l’homme ne peut être qu’un moment éphémère. Mais quelle fortune au-dessus du rêve, quand, à l’appel des monstrueux flamboiements de l’étendue incendiée, la conscience humaine, rivée à sa planète éteinte, se dresse devant le monde, dont elle n’est qu’un éclair, pour demander des mesures à l’incommensurable, qui, en de brefs passages, ne peut pas les lui refuser. Du bloc compact de l’incompréhensible absolu, extraire des pépites de relativités !

C’est pour cette œuvre incomparable que l’anthropoïde porteur de mystères est descendu de son arbre. Dès qu’il a touché terre, dès qu’il arpente ses continents, en attendant le jour où il fera siens l’océan et le ciel, une évolution s’inaugure au regard de laquelle toutes les autres font figure d’acheminements. Le corps est d’équerre. Les yeux vont aux étoiles. La pensée boit l’immensité bleue, flottement aérien de l’inaccessible infini. Pour prendre place sur son trône, le maître passager de la terre n’a eu qu’à se redresser. Au rebours du féodal, ses aïeux ne sont pas de compte, sa noblesse est en lui, en sa postérité. Un jour, lui reprochera-t-on peut-être d’avoir mis trop longtemps à reconnaître ses privilèges. Il se croyait esclave. Ses titres, méconnus, le proclament dominateur.

Il est vrai, une si haute noblesse d’abord lui a fait peur. À l’heure de vouloir, il se tâtait encore pour retrouver la trace de ses fers. Esclave par persuasion, tel fut le premier mouvement de sa destinée. Souverain par droit d’évolution, voilà le sort que sa condition lui réserve pour le temps dont l’avenir lui accordera la faveur. Aujourd’hui même, entre l’imperium de sa présente vie et la morne apathie du passé, il hésite encore, se demandant s’il ne pourrait pas concilier la pompe des parades d’insuffisances et l’énergie soutenue des ressorts de volonté. Le sort en est jeté. Son attitude érigée, dont il ne peut plus se départir, lui impose, par l’obsession des spectacles du monde, des besoins grandissants de connaître et de faire. Au cours des animations d’une vie jadis rivée au sol, il s’est vu chef avant de se sentir maître. Il veut s’enquérir de la terre, de lui-même