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les âges primitifs

érigée qui va changer l’équilibre de l’organisme humain pour le mettre en posture d’interrogateur. Il est impossible qu’avec la direction du regard, l’expression n’en soit pas changée. Je saisis aux yeux du singe un potentiel d’étonnement que ne présente pas l’œil résigné, ou révolté, des autres mammifères. Du regard de ce cousin, je ne sais quoi, parfois, m’a gêné. Peut-être traduit-il la surprise de l’humaine transformation de sa propre image et le désappointement d’un progrès manqué.

Cependant le redressement mis en route, tout le reste va s’ensuivre, quel que soit l’avenir de l’évolution commencée. L’atrophie des membres antérieurs, chez le kangouroo, ne permettant qu’une station quadrupède passagère, a nécessairement rejeté le centre de gravité en arrière, et réduit l’animal à procéder par bonds pour s’asseoir sur le trépied des deux ischions et des premières vertèbres caudales hypertrophiées. Une suite de sauts, au lieu d’une marche symétriquement scandée.

Il en va tout autrement de la station plus ou moins redressée de l’ours, de l’écureuil et du singe aux nombreuses tribus. L’ours, bête lourde par excellence, se redresse volontiers sur l’arrière-train, pour enfermer l’ennemi dans le cercle de ses griffes et de sa mâchoire, aussi bien que pour atteindre dans les arbres les fruits dont il est friand. Fixé au sol par son poids, il n’en a pas moins besoin, sinon de vivre dans les arbres, au moins d’y grimper d’occasion quand il trouve tronc et branches capables de le porter. Avec l’ours peut-être, apparaîtraient les premières activités d’un redressement du quadrupède en vue d’un résultat déterminé. Solidement établi, sur leur base, les grands quadrupèdes peuvent dormir debout, ce que ne permet pas l’instabilité de l’attitude bipède. Je ne suis pas en mesure de présenter ici une monographie de l’ours, mais je ne crains pas de dire que, suivant les espèces, on le trouvera d’autant plus redressé qu’il aura plus régulièrement acquis, pour les besoins de sa nourriture, l’habitude de l’arbre et de ses accommodations, comme c’est le cas de l’ours des cocotiers.

Avec l’écureuil, nous avons affaire, non plus à une esquisse d’évolution, mais à une évolution arrivée à un achèvement temporaire des possibilités organiques. L’agilité, ici, éclate au dernier point. Non seulement l’animal semble avoir quitté le sol, où il n’avance que par des bonds de quadrupède, mais