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l’évolution

détachée de l’univers lui-même que la plupart des hommes en ajournent volontiers le contrôle éventuel indéfiniment.

Quoi donc ! s’écriera-t-on, nos aïeux, qui ont accompli tant de grandes choses, auraient vécu et seraient morts en état d’hallucination. Les gestes des Divinités de nos ancêtres ne sont plus les nôtres. Oserions-nous nous faire gloire de les avoir dépassées ? Les figurations d’idéal se sont succédé, nous invitant tour à tour à des activités de noblesse supérieure Il est vrai que nos pères avaient proclamé la permanence de leur idéal, comme nous faisons nous-mêmes du nôtre, au jour le jour. Que peuvent des affirmations contre les mouvements du monde, interprétés plus ou moins fidèlement, qui nous emportent à toutes déterminations d’avenir ?

Quand les plus beaux actes d’héroïsme furent accomplis au nom d’un idéal que l’épreuve du temps n’a pas toujours confirmé, de quelle importance peut-il être, dans la continuité cosmique, que des vues humaines, purement subjectives, se soient modifiées au cours des âges ? Sous quelque Dieu que ce puisse être, vivre droitement selon nos facultés est le programme naturel de toute existence. Grandeur de vouloir connaître toujours davantage, pour vivre toujours mieux. Grandeur même d’errer dans l’ardente recherche, quand nous n’avons d’autres pierres d’épreuve que des déterminations de relativités. Hors du discernement absolu de l’erreur et du vrai, pour lequel il n’est pas d’expérience, quel champ s’ouvre encore à notre activité, quand, livrés à nos seules forces, nous osons demander des comptes à l’univers, et réussissons même à lui en arracher pour de réciproques accommentations ?

Si l’homme moyen peut jamais s’élever — et ce ne sera pas sans peine — au-dessus de l’enfantine amorce de la récompense et du châtiment, ses émotions supérieures pourront, comme il est arrivé pour des héros de l’histoire, le porter à l’acceptation sereine, sinon même empressée, des souffrances que déchaîne le fanatisme des incompréhensions dogmatisées. Les chrétiens dans le cirque, les hérésiarques massacrés par l’orthodoxie chrétienne en seront-ils de moins beaux exemplaires de noblesse humaine, selon les défaillances d’empirisme qui se rencontreront en leurs causes contradictoires ? C’est moins la précision de ses connaissances relatives qui caractérisera l’homme achevé que