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au soir de la pensée

en présence de ses aïeux péricléens, « le grand roi » emperruqué, empanaché, ne se fût peut-être pas montré très fier d’une souche à laquelle il attachait pourtant, à plus proche distance, un si grand prix. Le grossier Gaulois, compagnon des aurochs, des ours, des sangliers, avait lui-même des ancêtres lointains qui n’absorbaient point ses pensées et ne lui eussent point inspiré d’orgueil s’il avait rencontré l’homme de la Chapelle-aux-Saints, aujourd’hui reconnu pour un authentique spécimen de primitive humanité.

Remonterons-nous le cours de l’histoire jusqu’aux premières couches du quaternaire, franchissant, d’âge en âge, des échelons de formes originelles ? Nous ne rencontrerons jamais, au lieu de l’ancêtre biblique créé d’un coup de baguette, que des étages d’humanité commençante parmi lesquels l’homme de la pierre taillée fera figure d’Apollon. Bientôt même, nous heurterons-nous au pithécanthrope de Java, ancêtre reculé, à l’apogée d’une série zoologique antérieure dont les archives le font remonter jusqu’à la plus que modeste ascidie. Seigneurs de la métaphysique, où commence, où finit le phénomène humain dans tout cela ? Quel état de pensées et de langage aux crânes de Néanderthal ou de la Chapelle-aux-Saints ? Êtes-vous bien certains d’y pouvoir loger une âme immortelle ? De quelle sorte, et pour quels résultats ? Le miracle psychique est-il d’avant le pithécanthrope et sa lignée, ou d’après ? À quel signe le reconnaissez-vous ?

Nos affirmations d’expérience, ai-je dit, sont souvent des rectifications de vues imaginaires préalablement instituées, ainsi que le découvre le rôle de l’hypothèse dont les conjectures nous guident en s’offrant aux vérifications. L’idéal sans lequel la vie cruelle ne serait que de positivités, se compose d’anticipations subjectives en efforts de coordinations vers d’invérifiables devenirs. Nous avons nécessairement débuté par un idéal à notre portée, pour nous essayer, par des développements d’imagination, à devancer la marche lente de l’expérience vérifiée. L’enchaînement des évolutions subjectives d’un idéal fragmenté, au-delà des évolutions d’expérience, est ce qui met la vie humaine au-dessus de toute comparaison. L’aspiration d’idéal qui ne cesse de se transformer, de s’élever en nous par les progrès de la connaissance et la généralisation des hautes sentimentalités, représente le plus remarquable effort de notre vie — si haute, si