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l’évolution

De tout cela, le Cosmos ne s’embarrasse guère. Cependant, de notre point de vue, le prodigieux événement sollicite et résume les plus vifs élans de notre émotivité. C’est la question du devenir au plus tragique de son évocation. Les satisfactions de mots, si trompeuses, faisaient, hier encore, office de satisfactions. Qu’est-ce donc que nous avait offert le monde des premiers âges ? Le tableau des présomptions imaginaires dont le capital attrait fut de s’adapter merveilleusement aux aspirations, aux espoirs, aux satisfactions d’ignorances qui nous mettaient à l’œuvre.

De démêler l’observation, plus ou moins bien vérifiée, d’avec l’émotion qui, trop souvent, la défigure pour en faire jaillir crainte ou contentement, c’est de quoi, dans un âge où la parole et l’écriture envahissent l’existence, peu de gens se sont occupés. C’est pourtant toute l’orientation de notre vie qui en décide, puisque le phénomène, dans son ensemble, implique l’ajustement de la compréhension et de la sentimentalité.

Si loin que nous puissions faire remonter nos mouvements de sensibilité, nous nous voyons moins déterminés par les raisonnements hasardeux, dont notre histoire fait parade, que par des impulsions émotives promptes à se parer d’un théorique accommodement de conclusions anticipées. De ce point de vue, c’est l’émotion du monde, bien plus qu’une froide liaison d’expériences, avec leurs prolongements d’hypothèses vérifiables ou non, qui fera l’explosion de nos sensibilités déterminantes. De l’homme de la Chapelle-aux-Saints (pour ne pas remonter plus haut) jusqu’à Galilée ou à Newton, des échelons de connaissances mis en œuvre par des élans d’émotivités !

Ainsi la conception même du drame, avec les valeurs scéniques des antagonismes inévitables, se trouvera désormais transformée. L’omnipotence personnifiée n’est désormais plus de compte, en ses à-coups d’autorité. Elle se voit reléguer au rang d’une activité infinie d’inconscience ordonnée, arrivant par le réflecteur organique à la représentation consciente d’aspects passagers du Cosmos. Hier débiles sujets d’une autocratie absolue, nous nous voyons aujourd’hui temporairement promus aux figurations d’une flamme de personnalité dont la puissance ne cesse de s’accroître à des fins où le rêve aime à s’incorporer.

Que l’émotion de notre dénouement s’en trouve singulièrement élargie il n’est pas besoin de le dire. Au théâtre, selon que