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au soir de la pensée

Nouveau Christophe Colomb en sa caravelle hardie, le savant s’élance sur les vagues des hypothèses successives, vers de lointains horizons d’inconnu. Comme le grand Génois, porté par sa confiance inébranlable, l’hypothèse mathématique l’entraîne au lieu de le déconcerter. La loi des grands nombres, le calcul des probabilités, « le hasard interne » des transformations de l’atome lui causent de particulières délectations où sa mathématique du probabilisme se joue[1].

S’il y avait un élément de hasard dans le monde, les lois seraient de discordance. Mais puisque le mot ne signifie rien qu’une défaillance de notre entendement, il faut donc comprendre ce que veut dire M. Henri Poincaré, lorsqu’il nous confie que « l’atome du corps radio-actif est un monde et un « monde soumis au hasard ». Cela ne peut signifier rien de plus que l’aveu d’une faute de connaissance humaine devant une apparence d’incoordination mal expliquée. Ce n’est rien de nouveau. Que d’interprétations récentes ne sont pas beaucoup plus qu’un maquillage d’anciennetés ! On ne voit pas de place pour le hasard dans les relativités de nos déterminations du Cosmos. Il y a ce qu’on sait, et ce qu’on ne sait pas.

Autre affaire. Parce que l’atome paraît, dans ses transmutations, ignorer le monde extérieur, on en a voulu conclure que « le monde de l’atome est un monde fermé ou tout au moins presque fermé. » Serait-il donc possible d’oublier que nous ne connaissons de l’univers que des interdépendances de mouvements ? Si nous ne sommes pas toujours en état de les déterminer, à tout moment, où pourrions-nous prendre le droit de dire qu’elles n’existent pas ou presque pas ? Les développements ultérieurs que M. Henri Poincaré donne à sa pensée n’y peuvent rien changer. Sur l’équipartition de l’énergie et la jeune théorie des quanta, je l’abandonne à son génie, dont la conclusion se résume en cette parole de modestie : « Dans l’état actuel de la science, nous ne pouvons que constater ces difficultés sans les

  1. Un curieux problème, de savoir si l’on ne pourrait pas construire un édifice scientifique d’une valeur appréciable uniquement par le calcul des probabilités. C’est dans cette voie que le malheureux Pascal se trouva conduit à l’argument du pari pour sa Divinité. On m’excusera de préférer les grands chemins de l’observation, sans m’en laisser détourner par les feux follets d’un probabilisme aventureux.