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l’évolution

velle, j’ai vécu de bien et de mal diversement composés. Bénéficiaire ou victime des ambitieuses poussées, j’ai quitté les traces des communs ancêtres parmi lesquels votre sort fut de vous fixer. La même loi, qui nous fit des déterminations différentes, ne nous a pas permis d’y échapper. Nous avons suivi, les uns et les autres, la voie inévitable : vous, confirmés dans des gestes d’atavisme dont vous ne pouvez vous départir ; moi, cherchant, à grand bruit, des formations meilleures d’un empirisme aussi présomptueux qu’impuissant à réparer le mal de nos « dons natulels ». Attenter à la vie d’une créature pour en prolonger celle d’une autre, est-ce donc le bien ou le mal — ou, simplement l’inévitable ? je n’ose pas vous le demander. Jusqu’ici, le plus faible en est quitte pour subir la violence, tandis que le plus fort serait plutôt enclin à célébrer sa propre magnanimité.

Je ne viens pas vous proposer d’établir avec vous, dans ces redoutables détours, la juste mesure des choses. Je n’oserais pas affronter l’épreuve. Il me semble seulement que, selon la coutume antique, nous pourrions nous envoyer, de l’un à l’autre camp, le salut de ceux qui, de toutes façons, vont mourir. Si fière d’elle-même, notre humanité, d’anthropophagie patente ou déguisée, a déchaîné sur la terre beaucoup plus de maux qu’aucune de vos tribus, et, cependant, elle aspire à la réalisation de la plus grande somme de bien. Il ne nous appartient pas de concilier les termes d’une antinomie qui n’est point de notre fait. Aussi bien, nous répandons-nous, chaque jour, en louanges hyperboliques sur l’instigateur supposé du massacre universel.

Je voudrais simplement que le mal venu de nous fût d’une impuissance à mieux faire. Ne reste-t-il pas, de vous à nous, assez d’un commun héritage de sensibilités utilisées ou perdues, pour qu’un retentissement nous en demeure, et puisse s’ennoblir d’émotions désintéressées ? Nous osons croire qu’un avenir, meilleur peut-être, nous appelle ici-bas. Soyez indulgents pour les hommes, et nous, si ce n’est trop failler, nous prêcherons, de rencontre, la « bonté » pour les animaux.

Des fusées d’évolution, que je ne puis maudire, m’ont jeté loin de vous. Une consciencieuse observation du monde et de moi-même me ramène à vous moins superbe de mes fautes, plus prêt aux émotions de sympathie, meilleur peut-être, si