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l’évolution

fatale de la concurrence vitale puisse être changée, il cherche, comme beaucoup, à contenir sa plainte par l’espérance de vagues atténuations. Au savant de préparer l’état d’âme, résultant de la connaissance positive, qui nous permettra peut-être de nous mesurer de plus près, quelque jour avec l’objectivité cosmique des phénomènes.

Par l’observation contrôlée, Darwin, nous remettant à notre place naturelle dans la modeste lignée de nos humbles ancêtres, affermit les états de sentimentalité où se révèle la douceur d’une charité d’entr’aide dont nous faisons plus de rumeur du haut de la chaire que dans les hypocrisies de la vie privée. Assurément, nous pouvons arguer d’une légitimité d’être. Celle du mollusque n’est point inférieure à la nôtre. Cependant, ce n’est pas comme compagnon de festivité qu’il se présente à nos repas. Nous n’éprouvons point de souffrance à faire de lui notre victime. Tout au contraire, une subversion d’émotivités. De l’huître que nous ingérons vivante, et même convulsée d’une épice, au mouton bêlant que nous préférons cuit, il n’y a que des différences d’échelons dans les profondeurs de l’insensibilité. Présentement encore nos frères Fuégiens, Polynésiens (dont « l’âme » est d’essence divine comme la nôtre) sacrifient les vieilles femmes, quand ils ont appétit. En nous relevant de la déchéance biblique pour nous mettre à la tête de la hiérarchie vivante, non seulement Darwin nous fait réparation, mais encore il nous offre la chance d’une quasi légitimation par les vagues ébauches d’une charité relative à travers les tortures voulues de l’implacable Divinité.

L’Inde, qui reçut le privilège de pousser de primitives avenues de lumière fort au delà de ce qui attendait ses camarades d’émigrations, en d’autres climats, eut l’insigne mérite de concevoir l’universelle société des êtres, et même, par une étonnante hardiesse du rêve, d’en oser fixer une organisation. C’est la fameuse métempsychose, dont le védisme, et plus tard le bouddhisme, firent magnifiquement usage. Le fondement en est, comme on sait, dans une succession (une évolution) d’existences où l’homme — nécessairement inclus — s’élève ou s’abaisse dans l’échelle des êtres, selon ses « mérites », par un transformisme d’ascension ou de régression. Conséquence : « Il ne faut pas tuer », car c’est porter éventuellement la main sur un ancêtre, ou aggraver, tout