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au soir de la pensée

longtemps de cruelles violences nées de l’incompréhension. Déjà la véritable révolution est accomplie dans les hautes intelligences, avant d’avoir gagné les cœurs. L’émotion n’en est pas moins grandiose de ces moments où l’homme, issu d’un atavisme de subconscience, dont la chrysalide est la fidèle image, sent tressaillir en lui les premières ferveurs des jeunes ailes, dussent ses originelles velléités d’imagination s’en trouver déçues.

Osera-t-on prétendre que surgir de la planète en ses enchaînements d’animations universelles soit une déchéance ? Déchéance de quoi ? De quelles hauteurs tomber quand on ne trouve en soi que tourments d’ascensions sans fin ? Parce qu’ils sont d’humanité, nos élans de grandeurs ne sauraient déborder le cadre de l’univers ? D’où serions-nous venus ? Du ciel ? On l’installait, jadis, commodément au delà des nuages. Mais la géographie de notre voûte bleue a bien changé depuis ces jours. Dans quelle nébuleuse, dans quelle voie lactée, loger le Paradis lointain ? J’ai bien peur que tous les départements de l’espace ne soient désormais occupés. En revanche, les évolutions de la vie nous ouvrent des portiques d’universels devenirs, avec des perspectives d’infini. Acceptons nos tristesses pour mériter nos joies, et que le chœur immense des enthousiasmes de sentir, de connaître et de vivre des instants au-dessus de nous-mêmes annonce les émotivités du comprendre à l’antre obscur des consciences insuffisamment éveillées.

Il est vrai, la vie est un champ de bataille où d’effroyables coups se portent dans la nuit. Quel droit d’en gémir, quand, depuis son apparition sur la terre, l’homme a mis sa fierté dans tous les développements, dans toutes les aggravations de ses combats ! Il clame la paix, et se persuade même de la vouloir vivre, mais ne la veut jamais assez fortement pour la maintenir. À quoi bon se plaindre que l’universelle compétition des existences lui impose, même s’il en adoucit quelques formes, l’opposition sans frein des énergies ? Les trop faciles rêves d’idéalisme parlé s’inscrivent aux murailles, où l’indifférence publique n’en a cure. Et pourtant, dans la vanité des puissances, dans la stérilité des regrets, la vie pensante triomphe encore, en ses évolutions supérieures, de toutes les défaillances des caractères.

D’une placidité de regardant, Darwin contemple l’étendue sans limites de l’universel abattoir. Loin d’admettre que la loi