Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
au soir de la pensée

montre, il dit et poursuit son chemin. Le discours ici serait de choses familières. Plantes de nos potagers, de nos jardins, animaux de nos fermes, leurs conditions de vie, leurs hérédités, leurs croisements, mutations, transformisme, en des phases d’évolutions dans l’achèvement desquelles l’homme lui-même se découvre. Une histoire de choses insuffisamment regardées, source, par conséquent, d’interprétations à remettre sur le chantier.

L’homme d’investigation s’est ainsi donné une tâche que des siècles et des siècles ne verront pas achevée. Il doit apprendre à se borner. Des parties de démonstration expérimentale d’où s’infèrent des essais de synthèses : son ambition ne peut pas viser au delà. Dans les défrichements de la connaissance humaine, il doit se contenter d’ouvrir son sillon. Seulement, le soc ne s’arrête pas au labeur de surface. Il veut la profondeur. Les tâches succèdent aux tâches, sans jamais lasser l’ardente persévérance. Une épreuve sur le vif en exige une autre, puis d’autres toujours. Observations, interprétations se succèdent, et Darwin, alléguant ses « insuffisances », sollicite toutes contradictions. Cependant, les déterminations de phénomènes se multiplient, s’accumulent, ouvrant l’accès à des généralisations dont le prodigieux cortège ne s’arrêtera qu’avec l’humanité.

L’ancien monde a vécu, avec ses inexplicables séries d’espèces déterminées uniquement par des différences, puisqu’on ne permettait pas que les similitudes, d’abord, eussent une signification. Oui, c’est bien un univers nouveau qui se découvre, un pullulement de vies associées en des distributions de familles amies ou ennemies, d’une même origine. Comment ne l’avons-nous pas senti, pas reconnu plus tôt ? Darwin, qu’on aurait pu excuser de n’être pas très pressé de conclure, n’hésita pas à prendre ouvertement parti, quand, par une incalculable accumulation de preuves, sa démonstration lui parut achevée. Et, tandis que nous nous interrogeons sur la somme des privilèges de naissance qui nous caractérisent sous le sceptre, si lourd, de la Divinité, tandis qu’une mauvaise honte de parvenus nous tient encore dans les bassesses du « vilain » faussement anobli, les parchemins de Lamarck nous apportent des certificats d’universelle roture qui réunissent toutes les créatures de la terre dans les liens infrangibles d’une désolante fraternité.