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au soir de la pensée

doute, des actions et réactions de l’évolution inorganique, les premières sensibilités de la vie végétative pour nous élever, de stage en stage, dans les cadres de l’évolution animale, jusqu’aux complexités d’associations qui déterminent le phénomène d’une conscience de pensée. Après quoi, se présentera la tâche indéfinie des classements de complexités particulières selon des ordres de grégarité.

Nous rencontrons, en effet, de toutes parts, des stages d’évolution grégaire diversement caractérisés. Les loups se rassemblent pour l’attaque comme pour la défense. De même les cervidés. Du bateau qui remonte le Nil blanc, on voit se profiler sur le ciel des troupeaux d’antilopes qui défient le dénombrement. Dans quelle mesure et pour combien de temps sont-ils rassemblés, associés ? La joie des émotivités communes paraît seule rassembler les chevaux de la pampa argentine vide de tout ennemi. Il faut les voir faire la course, des deux côtés de l’automobile, avec des hennissements joyeux. Du rassemblement émotif à tous rassemblements utilitaires, il doit nécessairement se rencontrer des degrés d’organisation. J’ai dit qu’au pâturage, nos bœufs, pour ruminer, s’installent de telle sorte que nul ne puisse survenir d’aucun point de l’horizon sans rencontrer l’œil d’un guetteur.

Une longue hiérarchie de groupements organiques qui, commençant aux agrégations moléculaires et se poursuivant dans toutes les activités de la biologie, s’achève aux plus hauts accomplissements des sociétés humaines : voilà le phénomène général à l’évidence duquel aucun esprit d’observation ne peut plus se refuser. Dans la vie animale chacun de ces groupements voudrait des recherches dont le rapprochement serait du plus vif intérêt pour éclairer l’histoire des formations humaines en familles, tribus, cités, nations diversement partagées entre le besoin de s’unir et l’atavique disposition à s’opposer. Racines profondes de cette histoire universelle présomptueusement entreprise par nos prédicateurs qui déduisent gravement la vie des sociétés humaines du buisson ardent du Sinaï.

De nos jours, c’est quelquefois des anticipations de l’idéologie que pourrait venir le péril des méconnaissances. L’homme, instable, sans autre orientation que de mots arbitrairement réalisés, s’élance aux vertiges du rêve métaphysique sans tenir