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l’évolution

peut-être, lui semble requise pour quelque recommandation. De mon poste, je puis suivre les mouvements de l’assemblée. Parfois, un grand recueillement ou le besoin de repos est peut-être pour quelque chose. Puis, des pépiements alternés comme d’une discussion coupée d’interventions entre-croisées. Je résiste au cruel plaisir de certaines comparaisons où nous n’aurions-pas toujours l’avantage. On s’envole, on se disperse, on fend l’air avec des voluptés infinies, on se met en quête, on pourvoit peut-être, comme nous-mêmes, aux nécessités de l’inutile, et, quand l’aurore soulève ses premiers voiles, la caravane ailée est déjà loin.

Mes souvenirs de jeunesse me permettent même de préciser certains aspects de cette sorte d’aventures. D’une grande salle du vieux manoir, ma vieille tante avait fait sa chambre, sous un plafond de grosses poutres de chêne régulièrement alignées ! Comment des hirondelles vinrent-elles plaquer leurs nids de boue à cette noble charpente, c’est ce que j’ignore. Elles étaient là lorsque je vins au monde et je pourrais dire quelle mort vida la grande salle pour amener la destruction des petits foyers emplumés. Aujourd’hui encore, on pourrait voir aux maîtresses poutres les empreintes demi-circulaires laissées par la glaise des abris familiaux. Survolant les douves, les nidificateurs s’éclaboussaient d’eau au cours d’un vol rapide ; puis se chargeaient de terre et venaient maçonner leur foyer familial au-dessus de nos têtes, car nulle présence humaine n’était capable de les intimider.

Deux ou trois nids, tout au plus ; Nous commentions chaque jour les mouvements de chaque nichée. L’immobilité d’une petite tête noire faisant saillie sur le rebord, dénonçait la couveuse. Ou bien des piaillements de grands becs jaunes accueillant une proie que l’oiseau, pour une nécessaire distribution de justice, savait à qui donner. Parfois, sous les bougies de la veillée, éclataient dans les poutres des querelles, des récriminations, des coups déjà, peut-être, à notre amusement. La vie réclamait ses droits à l’abus de la force. Un journal sur le carrelage recevait les déchets du repas. De temps à autre, père et mère venaient faire le tour de la chambre, avec de petits cris annonçant qu’on faisait bonne garde à la jeune troupe agitée. Et puis, un beau matin, aussitôt la fenêtre ouverte, la jeunesse palpitante faisant bloc au signal, s’élançait dans le soleil en boulet de canon. Quelquefois deux nichées. Les oiselets, ingrats, ne revenaient pas. L’hiver, on