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l’évolution

a paru et paraît encore tant bien que mal s’accommoder. L’autorité terrestre s’institue, en somme, sur le modèle de l’empirisme céleste, par des décisions de volontés irresponsables, avec l’amorce d’espérances à long terme dont le verbalisme est demeuré prodigue jusqu’à nos jours. J’indique sans qu’il soit besoin de démontrer.

Moins fortunés, mais plus sages que les humains, les animaux n’exhalent pas de plaintes, et ne manifestent même pas d’ambitions au delà de leurs moyens. Il est devenu banal de s’exclamer aux témoignages d’une organisation méthodique dans les sociétés animales. Abeilles et fourmis sont un texte courant de littérature. Nos plus authentiques savants eux-mêmes ne peuvent que s’émerveiller des sûretés d’une vie sociale dont les déterminations sont dues surtout à l’effet des réflexes en l’absence de l’accumulateur encéphalique dont l’action générale, dans l’ordre de grégarité, se fait si remarquablement sentir chez les mammifères comme chez les oiseaux. Ces derniers excellent d’une façon toute particulière dans l’organisation d’innombrables troupes, soit pour les besoins temporaires de la migration, soit en vue de fins qui nous ont échappé jusqu’ici. J’ai déjà parlé des immenses troupes de petits oiseaux que j’ai vu évoluer, au Soudan, avec une précision inouïe. On ignore la raison de tels rassemblements qui ne sauraient être favorables aux besoins de l’alimentation. Chacun connaît l’histoire des prodigieux tourbillons de sauterelles qui dévorent les moissons. Un psychisme inférieur ne peut pas produire un état de grégarité supérieure. Il ne s’agit ici que de l’achèvement d’une évolution particulière dans un cadre étroitement compartimenté.

Les migrations des oiseaux sont un des phénomènes dont on parle le plus et dont on sait le moins[1]. Le départ se fait généralement la nuit — toujours à vent contraire. Au prix des plus grandes fatigues, le voyage se poursuit jusqu’à l’arrivée — non sans laisser des traînards que les navires sauvent parfois des flots. Nous ne saurions concevoir des moyens de repère qui échappent à nos sensations. Force nous est d’admettre un « flair d’orientation » chez les migrateurs. De lointaines émana-

  1. Il y a là un concert qui atteste une évolution mentale nettement caractérisée.