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est légèrement déplacée, elles ne la retrouveront pas. Associations insuffisamment liées. Tel le cas du pigeon voyageur, récemment installé, qui, après une absence de deux jours, revenant au nouveau colombier où couvait sa femelle, tourna dans tous les sens sans pouvoir retrouver la porte d’où il s’était échappé. Je l’ai vu, toute une heure, battre vainement de l’aile a cinquante centimètres de son entrée, sans pouvoir la reconnaître, parce qu’elle se trouvait sur un autre plan.

Que n’a-t-on pas dit de la précision « mathématique » des coups d’aiguillon du sphex et du pompile pour paralyser l’hyménoptère. Fabre s’en est extasié. Aujourd’hui, il est reconnu que ces coups d’aiguillon se multiplient, selon les chances, jusqu’à ce que l’effet cherché soit obtenu[1]. Fabre nous raconte l’histoire du sphex languedocien qui chasse, pour sa progéniture, des sauterelles du genre éphippigère, les paralyse en les piquant sous le thorax et les enfouit après avoir pondu son œuf sur le flanc de sa victime. En intervenant dans la procédure de l’enfouissement, pour éprouver les habitudes lamarckiennes de l’animal, Fabre n’a pu d’abord réussir à en rompre le cours. Cependant, il a rencontré des cas « d’adaptation aux circonstances ». De même pour le scarabée sacré roulant la boulette de bouse qui le nourrira dans son gîte souterrain. De même encore pour un certain sphégide, chasseur d’araignées, qui transporte plus ou moins péniblement sa proie, en dépit des obstacles, dans un endroit déterminé.

La procédure paraît automatique, et, pour cette raison, quelques-uns n’y ont voulu voir que des effets de tropismes reliés par les tâtonnements d’une mémoire associative. Nous sommes ici dans le plein du passage délicat de l’inconscient au conscient, par des échelons successifs où nos meilleurs moyens d’observation n’arrivent à saisir que d’incertains points de repère. M. Bouvier, après avoir cité nombre d’expériences sur des insectes divers, en conclut que quelques-uns d’entre eux « sont en état de parer aux cas imprévus ». « Ils n’agissent pas en automates, et la mémoire, qui les guide en ces circonstances, semble bien, par ses caractères essentiels, appartenir au même degré du psychisme que la mémoire humaine ». Nous sommes donc conduits à la

  1. Sur la vie sociale des insectes et des fourmis, où l’imagination s’est donnée si belle carrière, lisez Bouvier, Bohn et Fabre.