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l’évolution

n’ait pas pu se débarrasser d’abord de telles considérations, cela n’est pas pour surprendre. Ses élèves, aujourd’hui, doivent reconnaître qu’il ne peut y avoir à fixer aucun départ d’intelligence ni de volonté, par la raison très simple que ces mots ne font que désigner des passages d’états organiques incessamment renouvelés. Je ne vais pas, pour cela, proposer de supprimer des termes consacrés par l’accoutumance. Ils ont évolué, ils évolueront, dans leur signification profonde, avec les états d’animation qu’ils expriment. Nous nous servons tous couramment du mot âme. Il est bien certain que chacun n’y attache pas le même sens que Platon.

Que nos savants, qui inaugurent avec autorité le champ ardu des recherches dans l’ordre de la psychologie comparée, nous rendent, en même temps, le service de se défier des néologismes faciles pour toutes explications hâtives. Leurs études sur le psychisme primaire, résultant d’innombrables expériences, sont du plus haut prix, et les observations, dûment enregistrées, ont déjà mis au grand jour la veine du filon minier. Mais nous n’en sommes qu’au début d’une exploration méthodique.

Des expériences de jacques Loeb sur les animaux inférieurs et les insectes, il apparaît qu’à l’origine des mouvements dits organiques, on trouve, comme il était inévitable, les effets physico-chimiques de l’énergie cosmique (chaleur, lumière, électricité, gravité, etc.), manifestés sous la forme de trois activités fondamentales : tropismes, sensibilité différentielle, mémoire associative. Comme la pierre qui tombe selon la verticale, la racine suivra la même direction, ainsi même que le ver dans le sable. « Géotropisme, forme de gravité, le tropisme[1] sera tout acte qui se manifeste comme une attraction à laquelle l’animal ne peut pas résister[2]. Héliotropisme ou phototropisme[3],

    du point précis où nos classements subjectifs nous conduisent à segmenter de noms divers certaines parties de la continuité des phénomènes. La science est de l’enchaînement cosmique transposé dans l’imparfaite adaptation de nos signes représentatifs.

  1. J. Loeb, La Dynamique des phénomènes de la vie.
  2. Surtout qu’on ne prenne pas entitairement le mot de tropisme (qui se rapporte simplement à l’acte de tourner) pour une explication. Ce n’est rien de moins ni de plus que la dénomination d’un mouvement positivement observé où la « volonté » n’entre pour rien.
  3. Phototropisme positif ou négatif, suivant que l’animal est attiré ou