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les prières), tous les honneurs réservés par les hommes au divin « Je ne sais quoi ». Son trait particulier fut qu’on n’en faisait point d’image (pour les mêmes raisons que de Jahveh), ce qui lui assurait une puissance de mystère supérieure aux multiples représentations de Divinités secondaires dont nos temples, dits monothéistes, sont encombrés. Il a comparu devant nous — sort final de tous les Dieux qui furent — et, dès nos premiers essais d’analyse, nous le trouvons tout autre qu’on ne nous l’avait annoncé. Nous comptons maintenant nos atomes, nous les décomposons en des mouvements de sous-atomes, et les premières études de cette cinétique nouvelle nous obligent à refondre nos derniers théorèmes de l’énergie.

Le procès de l’ancien atome avait été fait par Kant en sa célèbre antinomie. « Ou bien la matière est composée d’éléments simples, mais alors les éléments sont sans étendue : autrement ils seraient divisibles. S’ils sont inétendus, on ne peut admettre que des éléments inétendus puissent, par leur réunion, donner un composé étendu. Ou bien cette réunion n’est pas composée d’éléments simples et est divisible à l’infini. Mais il faut arriver à un terme, sans quoi l’infiniment petit serait zéro et on ne peut concevoir un composé de rien. » Un beau coup droit auquel la riposte, pourtant, n’est pas très malaisée. La division à l’infini ne peut pas donner zéro puisqu’elle suppose toujours une quantité infiniment subsistante à diviser. Qu’importe, alors, qu’il puisse ou non se révéler à nous, de degré en degré, une masse que l’imperfection de nos instruments nous permette ou non de diviser sans arrêt ? Comment, par cette raison d’insuffisance humaine, l’atome se trouverait-il cosmiquement conditionné ? « L’homme se prend pour la mesure de tout », a-t-on dit. Grandeur et petitesse, en effet, n’ont de sens que par rapport à nous. Il serait temps de rendre à l’univers son au-delà des proportions humaines, dussions-nous nous en sentir diminués.

Dans une très belle conférence faite, en 1912, à la Société française de physique, M. Henri Poincaré aborde les nouveaux problèmes de l’atome avec la sincérité souriante d’un observateur attentif dont les envolées de hardiesse, non exemptes parfois d’une réserve d’ironie, cherchent à coordonner les faits dans le plus vaste ensemble, et même à les devancer selon les tendances ordinaires de l’esprit mathématique orienté vers l’absolu.