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au soir de la pensée

remonter, sous les auspices de Lamarck, jusqu’aux premières manifestations de la sensibilité organique d’où procèdent des phénomènes que nous caractérisons par les termes d'intelligence, d’émotivité, de volonté. En déterminer l’enchaînement par des généralisations de nos présentes données mentales serait une entreprise condamnée d’avance, si nous nous obstinions à vouloir procéder de notre actuelle phénoménologie cérébrale aux activités originelles de sensibilité dont elle est issue. Il s’agit, au contraire, de remonter des premières réactions automatiques de sensibilité élémentaire (réflexes) aux phénomènes psychiques par elles successivement déterminés. Au lieu de chercher dans l’intelligence animale comme une échelle de réduction de l’intelligence humaine, il s’agit d’y relever les premières constructions d’un psychisme dont les successifs développements ont fait l’état actuel de notre présente mentalité. Suivre le cours des choses au lieu de le remonter.

Combien accrue la difficulté de la tâche lorsque nous sommes contraints de recourir aux anciens vocables pour exprimer des conceptions nouvelles. Le langage ne peut évoluer qu’à la suite de l’organisme mental qui, l’ayant déterminé, ne saurait donner d’abord ses présentes formules qu’à travers des formules déjà surannées. À quoi bon, par exemple, discuter la question de savoir si nous fixerons le point de départ de « l’intelligence et de la volonté », à l’apparition d’un système nerveux plus ou moins précisé, ou à partir d’une certaine organisation des neurones caractérisée par la manifestation d’un cerveau ? Que Lamarck lui-même[1]

  1. Lamarck eut le mérite de s’attacher à suivre l’évolution du système nerveux dans la série animale, depuis les ganglions communiquant entre eux par de simples filets qui s’irradient dans les différentes parties du corps, jusqu’au système encéphalo-rachidien des vertébrés qui préside non seulement aux activités dites végétatives et aux mouvements musculaires, mais encore aux déterminations de sensations et d’émotions désignées sous les noms de pensée et de sentiment.

    L’erreur de Lamarck fut de vouloir suivre, selon l’état du développement nerveux, d’hypothétiques distributions de sensations, de sentiments, de pensées, de volontés, aux différentes échelles de l’évolution. Ces mots ont le grand tort de préciser d’une façon trop rigide des étapes progressives de la fonction nerveuse. L’accumulateur encéphalo-rachidien, avec ses plexus, procède par de trop lentes différenciations pour que nous puissions toujours saisir au passage le fil ténu des fonctions évolutives. Du passage du réflexe, de simple irritabilité, aux complexités des déterminations de volontés, l’intérêt est secondaire