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au soir de la pensée

Le darwinien invoque la sélection naturelle. Darwin lui-même a fini par revenir à son point de départ en invoquant l’hérédité des caractères acquis, et le néo-lamarckien de nos jours ne conteste pas les effets secondaires de la sélection naturelle. « Si chaque progrès nouveau, remarque M. Delage, meurt avec celui qui l’a fait, rien ne peut se faire que par la sélection aveugle, et il faut prouver qu’elle est capable, à elle seule, de tout expliquer : l’adaptation, l’évolution, la régression. Il incombe aux néo-darwiniens de le faire, et cela n’est pas aisé. »

Laissons néo-lamarckiens et néo-darwiniens à leurs batailles, en prenant acte de ce fait que l’hérédité des caractères acquis s’impose à notre observation dans un nombre incalculable de cas, tandis qu’elle a pu paraître contestable en théorie à quelques-uns. Nous ne manquerons jamais de théories dans toutes les directions où nous aurons besoin d’en faire usage. Notre connaissance étant faite d’observations acquises aux dépens de méconnaissances ataviques, c’est-à-dire héréditaires, comment peut-on contester, puisque l’homme change, qu’il transmette ses conditions, ses caractères organiques, non tels qu’il les possède au jour de la reproduction, mais tels qu’en des temps divers, il les a successivement présentés jusqu’à la composition d’aujourd’hui. Quand je dis « l’homme », j’entends nécessairement toutes les complexités organiques du couple reproducteur. Puisque l’hérédité nous procure un prolongement de l’être variable, que serait cette transmission héréditaire qui ne pourrait transmettre que les caractères non acquis, et quelle explication, en ce cas, de nos développements d’humanité ? L’hérédité, sans doute, veut une incommensurable profusion de composantes. Encore faut-il, pour qu’il ait un développement ordonné d’activités reconnues, que ces activités s’enchaînent en quelque façon. Les déterminations qui font que tel caractère est acquis constituent le principe fondamental d’une coordination où l’on ne peut faire brèche sans rendre le Cosmos au néant. C’est ce lien infrangible qui serait rompu si l’hérédité n’était que d’une transmission fragmentaire d’où certains éléments, les plus caractéristiques du potentiel humain, se trouveraient exclus.

Je ne m’étendrai pas plus sur la variation que sur l’hérédité. je vois tout simplement dans leur rencontre la transposition organique des puissances d’agrégation et de désagrégation qui