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au soir de la pensée

Huxley, qui n’accordait qu’une influence secondaire aux facteurs lamarckiens de l’évolution (habitudes et conditions de milieu qui se ramènent aux activités normales d’assimilation et de désassimilation), n’en donnait pas moins gain de cause sur Cuvier aux premiers énoncés de Lamarck, dès son hydrogéologie.

À Darwin — qui n’a parlé de Lamarck qu’avec dédain jusqu’au jour final où il reconnut son erreur — était réservé le coup d’éclat d’une éblouissante confirmation. Rien de plus étranger à la pensée du savant britannique que de formuler les hautes généralisations dont Lamarck avait fait son affaire. Un inflexible parti-pris d’expérience limitée ne lui permettait pas la hardiesse d’aborder les grandes lois qui, d’abord peut-être, eussent été propres à le déconcerter. Toutefois, loin qu’aucune timidité pût être mise à son compte, il s’engagea résolument dans l’âpre ascension des novateurs et s’y maintint, inébranlable, à mesure que s’élargissait l’horizon et que se développaient en lui des inférences de doctrine où l’enserrait la rectitude de ses observations. Il ne cessa de proclamer que, depuis cinquante ans, d’autres avaient dit ce que sa tâche était de répéter, de confirmer par une surabondance d’observations. Son livre sur l’Origine des espèces n’est, à ses propres yeux, « qu’une longue argumentation ». Quand l’argumentation se développe normalement dans les lignes de la méthode expérimentale, elle peut mener loin.

Personne moins que Darwin ne rechercha le bruit. Aucun tapage d’orthodoxie ne pouvait le faire reculer[1]. Du « scandale », Lamarck avait subi le premier choc, cinquante ans passés. Il échut à Darwin d’en supporter l’épreuve avec sérénité. Ce fut l’heure même où il mit le plus de précision dans sa pensée.

En France, cependant, Geoffroy Saint-Hilaire n’avait pas craint d’affronter Cuvier, l’illustre fondateur de la paléontologie par les repères de l’anatomie comparée, qui repoussait avec une hautaine violence l’idée d’une parenté animale[2], et prétendait

  1. À ceux qui lui reprochaient de soutenir des doctrines subversives de la religion, Darwin répondait, en souriant, que Leibnitz s’en était pris également à la loi de l’attraction universelle de Newton comme « subversive de la religion naturelle, et, dans ses conséquences, de la religion révélée ».
  2. J’ai dit la suggestive leçon de voir le même savant s’attacher à mettre