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l’évolution

été obligé, par la Faculté de théologie, « à une rétractation ignominieuse des vérités géologiques qu’il avait énoncées »[1]. Sur l’origine des fossiles, Léonard de Vinci avait émis l’idée que « le limon des rivières les avait recouverts et pénétrés, lorsqu’ils étaient encore au fond de la mer, près des côtes ». Et plus tard Fontenelle écrivait : « Il a fallu qu’un potier de terre, qui ne savait ni le grec ni le latin (Bernard Palissy)[2], osât, vers la fin du seizième siècle, dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles, déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors, que des animaux avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures et qu’il défiait hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves ». L’idée n’en demeurait pas moins générale que les fossiles n’étaient que des jeux de la nature, ou ne pouvaient s’expliquer que par le déluge de Noé.

Après Buffon, après Lamarck, il nous faut encore honorer Gœthe comme l’un des grands fondateurs de la biologie expérimentale. Ses observations d’anatomie comparée, ses recherches sur la métamorphose progressive des plantes (n’est-ce pas déjà l’évolution ? ) ont ouvert largement la voie où la science moderne s’est définitivement engagée. L’émotion avec laquelle il prit parti pour Geoffroy Saint-Hilaire, dans sa grande lutte contre Cuvier sur « les principes de philosophie zoologique », attestent assez haut qu’il s’y donnait tout entier. À la veille de sa mort, en 1832, il y consacrait encore de fortes pensées.

  1. Si l’on doit regarder Buffon comme un grand précurseur, il n’est que juste d’associer à son nom ceux de Maupertuis, de Diderot, surtout, qui, dans une page d’une étonnante pré-science, n’a pas craint de soulever les voiles du mystère, pour découvrir, comme dans une vision prophétique, les enchaînements de l’évolution : « Qu’il y a eu succession du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentiments, des passions, des signes, des gestes, des sons, des sons articulés, une langue, des lois, des sciences, des arts ; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre chacun de ces développements ; qu’il y a peut-être encore d’autres développements à subir, et d’autres accroissements à prendre qui nous sont inconnus… »
  2. Qu’on n’oublie pas les atroces violences dont l’Inquisition traversa les travaux du malheureux Palissy, qui pressé de se convertir, dans son cachot de la Bastille, répondit simplement au Roi lui-même : « je sais mourir. »