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tions positives. Les deux écoles se livrent présentement de grandes batailles, essayant de reconnaître le vaste domaine des formules d’interprétations où les engage la loi de l’évolution si longtemps méconnue. Présentement, je n’ai point à en faire état. Il suffit de laisser ouvertes les questions de demain. Je m’attache, en ce moment, à l’œuvre de Lamarck lui-même : c’est assez.

Dans sa Philosophie zoologique, Lamarck a hardiment formulé la puissante synthèse de la doctrine d’enchaînement, de généalogie, de descendance, d’évolution, pour dire le mot final, développée par lui jusqu’aux proportions d’une généralisation de synthèse positivement établie.

« Les divisions systématiques, écrit-il, classes, ordres, familles, ainsi que leurs dénominations, sont une œuvre purement artificielle de l’homme. Les espèces ne sont pas toutes contemporaines : elles sont descendues les unes des autres… La diversité des conditions de vie influe, en les modifiant, sur « l’organisation », la forme générale, les organes de l’animal… L’évolution géologique du globe et son peuplement organique ont eu lieu d’une manière continue… La vie n’est qu’un phénomène physique… Tous les corps vivants, ou organiques, de la nature sont soumis aux mêmes lois que les corps privés de vie, ou inorganiques. Les idées et les autres manifestations de l’esprit sont dans le système nerveux central. En réalité, la volonté n’est jamais libre. La raison n’est qu’un plus haut degré du développement et de comparaison des jugements ».

Ainsi, dès le premier jour, notre savant, dans une œuvre dont le seul titre nous apportait l’annonce d’une révolution de l’intelligence, traçait avec une audacieuse clarté les grandes lignes d’une conception de l’univers déterminé. Qui l’aurait pu croire ? L’événement capital, dans l’histoire de la pensée moderne, devait passer inaperçu.

N’oubliez pas qu’au moment où Lamarck écrivait, aucune interprétation rationnelle des empreintes géologiques ne s’était encore fait jour. Dans son remarquable ouvrage sur Lamarck[1], M. Marcel Landrieu rappelle fort à propos que Buffon avait

  1. On pourra également consulter avec profit l’excellente étude de M. Edmond Perrier sur l’œuvre de Lamarck.