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l’évolution

Dieu d’incohérences ayant créé l’univers pour des développements contradictoires de sa personnalité, aurait commis l’imprudence de ne pas lier les manifestations de sa volonté[1].


Transformisme, Lamarck, Darwin.


Après les classements du monde organique en des catégories de notre entendement propres à nous faire apparaître des fécondités de rapports, la loi d’engendrement évolutif, recherchée et suivie, nous met magnifiquement en présence d’un monde nouveau. C’est la grande révolution de Lamarck[2] et de Darwin de plus hautes conséquences pour l’humanité pensante que toutes violences de guerre ou de paix.

« Bien que la nature, écrit Buffon (1778), se montre toujours constamment la même, elle roule néanmoins dans un mouvement continu de variétés successives, d’altérations sensibles. Elle se prête à des combinaisons nouvelles, à des mutations de matières ou de formes, se trouvant aujourd’hui différente de ce qu’elle était au commencement et de ce qu’elle est devenue dans la succession des temps. » À quoi Cuvier refusa de se rendre — n’admettant pas « que les races actuelles puissent être des modifications des formes anciennes que l’on trouve parmi les foules »[3]. Ainsi que le remarque Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier rompt ainsi l’unité des coordinations du monde reconnue par Buffon, devant laquelle, après les plus violentes résistances, l’école de Cuvier elle-même se voit aujourd’hui tenue de s’incliner.

La haute inspiration philosophique des nombreux travaux de Gœthe dans le domaine de l’histoire naturelle est aujourd’hui pleinement reconnue. Il osa prendre résolument parti contre la sacro-sainte théorie des causes finales, en proclamant « l’action

  1. Le dernier effort de la métaphysique nouvelle est d’accepter l’évolution pour la défigurer. Amusements de la chaire, escrime d’académie.
  2. Lamarck fut le fondateur de la paléontologie des invertébrés, comme Cuvier des vertébrés.
  3. Études sur Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire, 1838.