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au soir de la pensée

La défaite irréparable de Cuvier, au plus fort de sa grande victoire, aura marqué le jour ou les généralisations de l’esprit positif vont définitivement l’emporter. Il est vrai que les derniers donjons de théologie et de métaphysique tiennent encore les hauteurs, mais ils y sont si étroitement assiégés qu’en dépit des violences subsistantes, les préliminaires de la capitulation sont en vue.

Pour ceux qui ne s’attardent point aux combats d’arrière-garde, il est temps de comprendre que le principal obstacle à notre droite intelligence des mouvements mondiaux vient de l’habitude où nous sommes héréditairement engagés de résoudre d’abord tous problèmes cosmiques par des formules d’abstractions réalisées, avant de pouvoir les considérer objectivement dans la succession positive des phénomènes. Nous décrétons que tous les mouvements du monde sont, comme les nôtres, de sensibilité, de volonté. Et dès que l’idée d’une coordination se présente, quelle formule plus simple que la fiction d’une personnalisation de Divinité, non moins inexplicable que l’univers lui-même, mais nous offrant l’apparente fixité d’un mot où nous tenir immuablement attachés ? Naïve transposition des termes dans lesquels des rapports de positivité se découvrent entre les mouvements mondiaux et nos tables de réceptivité.

Même événement pour la formule générale des phénomènes inclus dans le mot « vie ». Nous croyons avoir accompli un grand effort de pénétration quand nous avons groupé, sous ce terme abstrait, sans réalité objective, les rapports de phénoménologie caractérisant le monde organique ? La question par la question. Réplique verbale du phénomène, et non explication.

« La science moderne roule sur des lois, c’est-à-dire sur des relations. Or, une relation n’est rien qu’une liaison établie par un esprit entre deux ou plusieurs termes. Une relation n’est rien en dehors de l’intelligence qui rapporte[1]. L’univers ne peut donc être un système de lois que si les phénomènes passent à travers le filtre d’une intelligence. » En ces termes M. Bergson, dans son Évolution créatrice, entreprend de sauver de la métaphysique tout ce qui peut encore faire illusion. Dans cette vue, il essaye résolument de jeter par-dessus bord tout un

  1. Comment la relation de l’antécédence à la conséquence pourrait-elle être l’effet de la sensibilité qui se borne à la réfléchir ?