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l’évolution

mènes de la vie où notre premier soin fut d’accuser de lointaines différenciations. Les redoutables problèmes de l’empirisme mondial nous pressaient d’une trop grande urgence pour qu’il nous fût possible de nous arrêter aux éclairs de généralisations sommairement éteints par les premiers partis-pris des émotivités théologiques qui tenaient et tiennent encore trop souvent lieu de philosophie. Songez à l’effort nécessaire pour rompre, sans le point d’appui d’une expérience continue, avec des traditions de pensées qui, des âges primitifs, n’ont cessé de retentir ataviquement jusqu’à nous.

Assez et trop longtemps nous sommes-nous plu à rechercher dans l’intelligence animale des réductions de l’intelligence humaine, comme d’un amoindrissement de la bête aux mesures de notre puissance maîtresse, tandis que c’est l’irrésistible poussée de vie montante qui nous lance à la conquête du monde, au cours d’une ascension des profondeurs organiques en direction des cimes du connaître. Désarroi des consciences aux lumières troublées d’atavisme, qui veulent bien se voir au faîte, mais ne consentent pas à être venues de la vallée !

Il a fallu les découvertes de la paléontologie pour nous faire concevoir qu’il y avait une histoire de la vie animale à construire sur les documents authentiques de nos musées. Et si bien installé au cours de nos intelligences se trouva le préjugé d’une brèche de l’espèce humaine dans l’enchaînement des organismes dont les étroites ressemblances s’affirment de toutes parts, qu’on vit Cuvier lui-même, le fondateur de la science nouvelle, essayer de se soustraire, par d’imaginaires « créations séparées », aux conclusions positivement établies de son propre labeur. Il n’y a pas d’exemple plus frappant des voies divergentes où s’égare l’esprit humain que l’association dans le même entendement d’une haute puissance d’investigation positive, et de l’inertie héréditaire où nous maintiennent d’originelles timidités à l’aspect des observations les plus authentiquement confirmées.

Tout ce drame de l’homme, en lutte contre lui-même, nous émeut d’autant plus, aujourd’hui encore, que ce qui se trouve en cause n’est rien de moins que l’effort de compréhension sollicitant une synthèse de la phénoménologie générale de l’univers. La mise à mort de Socrate fut comme d’un engagement préliminaire. La condamnation de Galilée, d’un puissant corps à corps.