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de l’homme. Quelle interprétation sinon d’une ligne de développement caractérisée, c’est-à-dire d’une parenté organique indéniable ? J’ai dû évoquer sommairement des constatations, sur lesquelles je reviendrai, parce que c’est de là que nous sont venues les premières notions d’une continuité évolutive dont les témoignages authentiques s’imposent désormais à notre observation.

Trouve-t-on dans le monde inorganique les signes d’une succession de développements analogues ? Pouvons-nous, devons-nous reconnaître dans les éléments chimiques le produit d’une semblable évolution ? Végétaux et animaux ont évolué dans des moyennes de température qui n’ont pas beaucoup différé jusqu’à nos jours. Ce ne peut être le cas des éléments chimiques qui accusent des changements de composition à mesure que s’accroît la température des étoiles où on les étudie. « Les différences, répète sir Norman Lockyer[1], dépendent donc de la durée dans le monde organique, et de la température dans le monde inorganique ». À mesure que nous nous élèverons dans l’échelle des températures, nous rencontrerons, en effet, les formes les plus anciennes et, partant, les plus simples. Nous pouvons constater, tous les jours, que la chaleur dissocie les composés chimiques. D’où la conclusion que, dans les astres, l’oxygène et le fer doivent avoir existé avant la rouille[2].

Y a-t-il un « produit final » comme l’affirme notre savant, voilà ce que, jusqu’à nouvel ordre, l’expérience n’a pu révéler. Parce que nous n’observons pas au delà d’un certain degré de température, comment conclure qu’il n’en existe pas d’autre ? Que pouvons-nous savoir de l’ultimité d’un phénomène chimique ? Nous constatons qu’une élévation de température aboutit à un nouveau degré de dissociation. Le « produit final » ne s’est trouvé « final » que dans les données d’observation où nous sommes arrêtés par l’insuffisance de nos moyens d’analyse.

Cette réserve faite, il est capital ici de reconnaître que si, dans l’activité générale du monde, la durée conditionne l’évolution organique, dans le présent comme dans le passé, c’est la température qui détermine les phénomènes de l’évolution inorga-

  1. L’Évolution inorganique.
  2. À vrai dire, cette vue est purement subjective, puisqu’on ne peut pas dire lequel du chaud ou du froid ont « commencé » — ce mot n’ayant cosmiquement pas de sens.