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au soir de la pensée

Des enchaînements cosmiques nous n’avons pu saisir que des passages fragmentaires, puisque notre condition le veut ainsi. Il s’agit pour nous de vivre notre connaissance selon les conditions du Cosmos, non de la dire et de la faire selon nos convenances, à la fortune des moyens ancestraux.

Un grand pas est franchi quand un homme tel que sir Norman Lockyer en vient a nous poser scientifiquement le problème de l’évolution « inorganique ». Plus heureux, je l’avoue, me paraîtrait le terme « d’évolution » minérale, le mot « inorganique » n’ayant qu’une valeur de négation, d’autant plus insuffisante que l’organisation, c’est-à-dire l’interdépendance des complexes, se rencontre de toutes parts. Prenons, cependant, les mots comme ils nous sont offerts.

Dans le soleil, dans les étoiles, à de très hautes températures, l’étude spectrale nous révèle des coordinations de mouvements élémentaires, où sir Norman Lockyer voit une « dissociation », par lui tenue pour un phénomène d’ « évolution inorganique ». Il n’y a point à cacher que nous sommes plongés là d’abord au cœur d’un océan d’inconnu. Des lueurs peuvent se prêter à des commencements d’analyse. La synthèse reste hors de notre présente atteinte. Notre loi n’est-elle pas de procéder par voie de recoupements ? Une évolution qui « dissocie », c’est-à-dire raréfie le substratum à de très hautes températures, appelle une évolution qui le « ressocie », le condense par le refroidissement, nous suggérant un cycle, de la plus haute température à la plus basse, qui retourne elle-même, par des chocs d’astres, au maximum thermique d’où le rayonnement ramènera un maximum de froid.

Pour définir le problème, sir Norman Lockyer ne peut que le rattacher à la conception de l’évolution organique : « la révolution de la pensée moderne la plus profonde que le monde ait vue ». « En réalité, écrit-il, l’évolution organique peut être définie comme la production de nouvelles formes organiques à partir d’autres formes plus ou moins différentes, en sorte que les plantes et les animaux actuels sont, par l’intermédiaire d’une longue série de modifications et de transformations séparées ou simultanées, les descendants d’un nombre limité de types anciens plus simples. » Transportant le problème aux éléments chimiques, le savant note d’abord « les différences de composition » à mesure qu’on étudie des étoiles de températures successivement croissantes.