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sion d’arrêter le cours d’une évolution personnelle, parfois en trop criant désaccord avec les réactions de nos émotivités [1].

Bien entendu, notre Providence divine nous le déconseille puisque nous sommes son œuvre, et qu’approuver notre rentrée volontaire dans l’inconscient serait la condamner. Cependant, le suicide est un épuisement d’évolution. Il y en a d’autres formes. Combien de vies manquées ne sont qu’une lâche succession de demi-suicides conjugués ? Supprimer autrui est, le plus souvent, moins douloureux que de se supprimer soi-même. La lecture des feuilles publiques vous apprendra qu’on s’y résout plus communément. Le dogmatisme du théologien, qui ne s’embarrasse guère des contradictions terrestres de la vie humaine, envoie son suicidé en enfer, et n’y songe plus, tandis qu’il célèbre en ses temples les massacres de la guerre et ses propres violences selon l’occasion.

Échelonnés de la terre à Sirius et de toujours plus loin à toujours plus loin, en de perpétuelles successions d’au-delà, porteurs éblouis d’états de conscience qui se succèdent, sans doute, de monde en monde, nous promenons dans l’espace et le temps, nos vaines clameurs parfois justifiées par la fierté d’une grandeur d’idéal ou s’efforcer.

Car, sans rien rabattre des valeurs de la connaissance, ce qui importe le plus pour le « bien aller » de notre vie, dans la somme inconnue de haute subjectivité ou nous élèvent nos jugements, c’est surtout la vertu d’émotivité que nous développerons par les compositions individuelles et sociales de nous-mêmes et d’autrui. Il n’y a pas de connaissances humaines sans des parties de méconnaissances. Tels que nous sommes nés, tels que nous avons contribué, de nos propres moyens, à nous former, nous aurons accompli notre rôle, si, de bonne foi, nous l’avons

  1. Poussée jusqu’au suicide (privilège de l’homme conscient d’un épuisement de son dynamisme nerveux), l’évolution individuelle s’achèvera en une discordance de rapports amenant la dissociation consentie des complexités de l’individu. Il serait curieux de savoir à quel moment de son évolution l’homme s’est senti maître de sa destinée. Ce fut probablement la guerre qui amena le vaincu à tourner ses armes contre lui-même. Là, comme en tout dynamisme, le dernier mot est à la loi de la moindre action de Fermat, scientifique formule de la loi du plus fort, identique, mais inversement exprimée.