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au soir de la pensée

Lentement imposée par l’évidence de ses manifestations dans l’ordre organique, l’idée de l’évolution, c’est-à-dire d’une cohérence des mouvements cosmiques hors de laquelle le monde ne serait pas, n’a fait son chemin qu’au prix des plus pénibles efforts dans l’obtuse résistance des conceptions primitives. Beaucoup professent avec fierté que l’entendement humain progresse, c’est-à-dire évolue, qui, dans ce développement organique de la connaissance, n’accepteront pas, sans peine, les processus vérifiés de la phénoménologie. Passe pour la théorie, mais procéder du pithécanthrope ? Horreur ! Nous ne voyons cependant pas que le respect de la figure humaine ait empêché nos « croyants » de soumettre au bestial esclavage la figure humaine du Créateur. On a dit justement qu’il valait mieux descendre d’un presque homme en voie de s’humaniser que d’un Adam dégénéré. Mais il n’est pas bien sûr que l’homme de la Chapelle-aux-Saints fût beaucoup moins bestial que le Pithécantrope, et celui-là nous ne pouvons nous soustraire à la nécessité de le tenir pour notre aïeul. N’est-ce pas beaucoup de bruit pour une simple question de plus ou de moins ?

Question d’ancien régime pour qui la destinée était affaire de naissance. N’est-ce pas au développement surtout qu’il faudrait regarder. On sait bien que le christianisme des conciles, se vantant d’exprimer une très haute évolution d’humanité, prétendra (quoiqu’il ait plutôt régressé depuis les apôtres) avoir atteint un degré d’achèvement qui ne peut être dépassé. Indéfendable position d’esprits qui n’attendent du mouvement qu’une anticipation d’immobilité. Point d’hommes, point de temps qui n’aient cru tenir une vérité définitive. Point de postérité qui n’ait manifesté ses aspirations simultanées au changement et à l’immuable tout à la fois. L’évolution est en nous, comme partout ailleurs. Le problème est moins de la reconnaître, puisqu’elle s’impose partout et toujours, que de trouver le courage de s’y accommoder.

De l’évolution inorganique à l’évolution organique, le pas n’est pas moins difficile à franchir que du déisme providentiel au dynamisme cosmique d’où toute volonté particulière est bannie. Cependant, tout nous y convie. Bien ou mal, à l’appel de l’expérience nous sommes tenus de répondre. Quand la fortune de