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au soir de la pensée

à mi-chemin de l’envolée, pour faire une place hybride, entre le connu et l’inconnu, au phénomène religieux : ce qui lui a valu de reposer à Westminster. Ménager, aujourd’hui encore, une part de collaboration positive à l’interprétation religieuse, et prétendre, en même temps, résoudre en dehors d’elle le problème du Cosmos, est d’une contradiction si frappante qu’on a peine à se l’expliquer.

« Il faut réussir à trouver la raison de cette métaphore universelle, sous peine d’échouer dans notre essai de constituer la connaissance complètement unifiée, la philosophie ». Est-ce donc là « tout le problème de positivité » ? Notre entendement cultivé d’aujourd’hui n’est pas plus en état de s’assimiler tout le Cosmos[1] que les entendements incultes de nos ancêtres, superbes d’ignorer ? Où prendrions-nous donc le droit de nous gratifier nous-mêmes des moyens de « réussir » par la vertu de mots sans objectivité ? On veut bien admettre qu’on se trouve en présence d’une incomparable « métaphore ». Pourquoi donc consentir à la camper en une réalité vivante dont on acceptera l’hallucination pour avoir le droit de philosopher ? Ne vaut-il pas mieux reconnaître que les hommes, en vivifiant leurs signes, se sont laissé enliser dans des glissements de verbalisme qui nous ont trop manifestement jetés hors des voies de l’expérience contrôlée ? Quand Spencer nous annonce qu’il s’en tient finalement à une raison de croire « que l’évolution ne peut se terminer que par l’établissement de la plus grande perfection et du bonheur le plus complet », que fait-il, sinon de vouloir imposer à l’univers un décret de sa propre subjectivité ?

Après avoir expliqué le monde par la matière et le mouvement (comme Descartes lui-même), notre philosophe rompt ainsi, de son autorité personnelle, l’enchaînement infrangible où il s’était d’abord enfermé (toujours comme Descartes), et cela pour invoquer une « cause inconnue » par laquelle s’ouvrirait le cycle qu’il prétend lui-même fermer. En ce déséquilibre, voyons-nous les plus beaux efforts d’une noble pensée revenir ataviquement au pli du joug abandonné : l’anthropocentrisme des premiers âges.

  1. Ce qui n’a d’ailleurs pas de sens, puisque nous sommes incapables de concevoir les limites de l’univers.