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l’évolution

Les mêmes questions se présentent pour l’ensemble des existences, et, l’homme, ayant le privilège du plus pénible effort, trouvera le recours d’une gymnastique mentale qui, après de longues défaillances, finira par lui assurer le privilège de connaître plus profondément et d’agir plus harmonieusement que ses congénères. De la tige naissante du tubercule en cave qui cherche la lumière, et la trouve, jusqu’aux réactions les plus caractérisées de sensibilité, de volonté, il n’y aura que stages de gradations jusqu’à l’éclair de l’acte le plus nettement déterminé. Si grandes que soient nos insuffisances mentales, si persistantes qu’elles puissent être par l’obstination des stupeurs héréditaires, rien n’expliquera mieux le phénomène humain, au cours de ses développements, que les processus des anneaux d’enchaînements qui commandent toutes les manifestations de la vie.

Si, au contraire, notre « âme » est une émanation directe de la Divinité, qui se trouve en défaut parce que la perfection a cru devoir produire l’imperfection, contradictoire, pour tourmenter des êtres qu’il n’était aucun besoin de créer, nous nous trouvons mis en demeure d’expliquer une effrayante somme d’inexplicable, — à commencer par l’impossible union de « l’âme » et du corps. Tandis que si nous nous cantonnons dans le monde des phénomènes positivement observés, la coordination infrangible de tous les dynamismes s’impose d’une maîtrise évidente à notre entendement, à nos activités.

Observer, rechercher, n’est-ce pas, cependant, courir le risque, à tout moment, des confusions de méprises et de vérités ? Il est vrai. Seulement l’erreur peut être rectifiée, et nos insuffisances, même les plus graves, prendront ainsi la dignité d’un effort purement humain vers une connaissance toujours plus pénétrante qui ennoblira merveilleusement le pèle-mêle des œuvres de notre vie. Sinon — méprise ou inexplicable fantaisie d’un « Créateur » qui ne serait rien sans sa création — nous nous trouverions aussi incompréhensibles que notre Dieu lui-même, puisque, à son exemple, de conditions contradictoires. Mis tout simplement à notre place dans l’échelle des phénomènes, nous nous expliquerons à notre tour, par des dynamismes d’interdépendances successives, et nos jalonnements de méprises — injustifiables du point de vue de la Providence — feront, au contraire, figure de courageux élans vers une vérité si vaste