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au soir de la pensée

de cette conscience progressive dans la succession des existences, du plus bas au plus haut ? On ne s’y arrête pas. N’est-on pas même frappé des analogies de toutes cérébrations à mesure qu’on en suit le cours dans la série des êtres ? Pas un moment. On nous parle de la « création » de l’homme, de l’homme schématique, métaphysiquement « un », quand nous le voyons si divers, selon le développement des organes, les lieux et les circonstances de sa vie. Mais voici qu’au lieu de cette unité humaine, des races d’hommes à des paliers très différents de conscience, dont les plus anciens, inférieurs à celui de nos sauvages d’aujourd’hui, sont au plus près de l’animal dans l’ordre des organismes vivants. Cela ne donne-t-il pas à réfléchir ? On ne réfléchit pas. Le crâne de la Chapelle-aux-Saints est là, cependant, avec d’autres parties de squelettes humains qui, tous, disent la même histoire. Ne comprendra-t-on pas ? On préfère ignorer.

Quoi ! Personne ne conteste ce qu’on est contraint d’appeler « l’intelligence des animaux ». Et nous trouvons l’intelligence des humains primitifs, si proche du niveau supérieur des intelligences animales que la distinction, à certains jours, aurait pu nous embarrasser. Comparés aux crânes, notablement plus évolués, de nos présents sauvages, les fossiles de Java, de Piltdown, de l’Afrique du Sud, de la Chapelle-aux-Saints, de Néanderthal, sont décisifs a cet égard. Encore ne pouvons-nous rien dire des innombrables exemplaires d’humanité moins évolués des âges antérieurs. Nos trouvailles, jusqu’ici, n’ont encore entamé qu’une insignifiante surface des terrains fossilifères.

S’il y a une « intelligence des animaux » et une intelligence des premiers hommes redressés, en proportion du développement de l’organe cérébral, peut-on échapper aux décisives suggestions des problèmes d’une éventuelle filiation ? À tous les degrés de la série animale s’échelonnent des degrés d’intelligence, ce qui imposera les études précises d’une psychologie comparée. Partout mêmes efforts d’une connaissance caractérisée, partout défaillances et succès mêlés, soit par un organisme d’insuffisance, soit par l’arrêt du potentiel de certaines branches d’évolution. Les animaux se prennent aux pièges de tous ordres. De même, les humains. La plupart s’ingénient à éviter le danger, ce qui suppose des combinaisons de sensations associées. Il n’y a pas de différences. Il y a des degrés.