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au soir de la pensée

en lui-même, un commencement, c’est-à-dire un effet sans cause[1], en même temps qu’une fin d’anéantissement puisque aucun prolongement n’en serait concevable. En d’autres termes, tout phénomène serait bloqué entre deux instantanés de néant, au travers desquels quelque chose se créerait et s’évanouirait indéfiniment. La création biblique se verrait ainsi remplacée par un déluge de créations et de morts simultanées dans l’infinité de l’espace et du temps. De lois, aucunes sortes. De généralisations, pas de traces, puisqu’il ne pourrait y avoir aucune connexité d’éléments. Un Cosmos tel que nul n’a pu le rêver. Un « ordre » discoordonné.

Pour faire l’ordre dans le chaos, il y eut des Divinités. Mais des Divinités anthropomorphiques ne pouvaient gouverner que par des volontés changeantes, comme le prouvent « les miracles » et les supplications sans fin qui ont pour but de les déterminer. La réalisation de l’ordre veut des règles, et, ces règles, nous ne les pouvons trouver que dans les lois cosmiques qui sont des constances de rapports, — par quoi nous prenons simplement acte de ce qui est.

Et puisqu’il faut, pour cela, qu’il y ait des rapports de mouvements, de relations changeantes, un ordre d’évolution en sera la conséquence nécessaire, car ces mouvements se succéderont selon des règles déterminées d’antécédence et de conséquence, engendrant, développant les manifestations du monde sous nos yeux. Engendrement, développement, évolution sont bien les termes qui conviennent, par analogie avec le cours des activités biologiques qui nous font passer du germe au nouveau-né, dans la succession des phases du développement embryonnaire. Les rapports ne se peuvent conjuguer qu’en des transitions évolutives rendues inévitables par des activités de changements hors desquelles le monde ne serait pas. La « doctrine » de l’évolution se ramène ainsi à une simple constatation du mouvement[2].

  1. C’est ce qui a fait dire que l’évolution n’était que la formule du principe de causalité.
  2. Pour un exposé didactique de l’évolution, du transformisme et pour les études d’histoire naturelle qui s’y trouvent rattachées, il faudrait des encyclopédies, car notre jeune génération des laboratoires n’a pas craint d’aborder expérimentalement les plus ardus problèmes. Je ne puis qu’inviter le lecteur à consulter les abondantes publications de jacques Loeb, d’Yves Delage, de Le Dantec, et de tant d’autres.