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AU SOIR DE LA PENSÉE


Le nom personnifié, divinisé.


Le ciel s’offrait à tous les yeux avec son soleil, ses astres, ses nuages mouvants. Aussi l’océan tourmenté, la terre avec ses animaux, ses plaines, ses montagnes, ses fleuves, ses tempêtes. Les premières réactions de l’intelligence, quand se présenta l’idée de la plus vague analyse, ne pouvaient être, aussitôt le stage de la parole franchi, que d’assigner aux choses un nom pour des ébauches de classements. Aux livres saints le souvenir en est demeuré. Dans la Genèse d’Israël, c’est l’homme lui-même qui impose ce nom par la vertu de sa voix articulée, tandis que dans les cosmogonies de l’Inde, c’est le Dieu lui-même qui donne cette première leçon de langage à l’homme désemparé.

« C’est en noms que nous pensons », remarque Hegel, ainsi que j’ai déjà noté. Mais ce nom, sur quoi le fonder ? De premier mouvement, la question se trouva résolue. Quelle autre désignation possible, en effet, que celle de notre sensation ? L’attribut, le qualificatif, exprimant l’effet produit sur nos sens, s’imposait en l’absence de toute autre ressource d’expression. Pour l’Aryen des Védas, le ciel fut Dyaus, c’est-à-dire rayonnant, brillant : qualification pour dénomination.

Il s’agissait d’abord de distinguer l’objet. Mais le même qualificatif pouvait aussi bien convenir, selon les circonstances, à d’autres phénomènes. Le soleil n’est pas seul à briller. C’est ainsi que l’adjectif, sans ombre d’analyse, se trouva bientôt promu à la dignité de substantif dénominateur. Dyaus devient le rayonnant, le brillant, par excellence. Dès lors, le ciel aura son nom particulier ; donc les contours d’une réalité individuelle. Ainsi le mot Dyaus qui n’est que le nom d’un astre éblouissant, passera, avec les migrations du sanscrit, au grec Zeus[1], Theos ; au latin,

  1. En proposant cette étymologie qui vient de Max Muller, je n’ignorais pas qu’elle avait été contestée, mais je n’avais rien lu, d’une autre étymologie,