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AU SOIR DE LA PENSÉE

CHAPITRE PREMIER

DANS LE MOMENT QUI FUIT…

Au soir de la pensée, quand la vie présomptueuse, à bout de floraisons, ne peut plus qu’égrener au vent ses rares commencements de velléités dernières, voici que devant la suprême interrogation, l’homme effaré s’arrête — moins stupéfait d’une existence improvisée que confondu du proche effondrement où se heurte l’infatuation de sa personnalité.

Qu’est-ce donc qu’avoir vécu ? Qu’est-ce donc que vivre et mourir ? Qu’est-ce que naître, d’abord ?

La naissance ? Une continuation. La continuation d’un tumulte ordonné d’énergies en perpétuel devenir.

Vivre ? La sensation d’une imaginaire fixité dans l’insaisissable révolution de cette éternelle Roue des choses, dont l’Inde n’eut la vision que pour l’irrésistible tentation de s’en affranchir.

Mourir ? Continuer encore, et toujours, en des formes éternellement renouvelées.

L’homme en vient à comprendre que les mots de commencement et de fin, de création et d’anéantissement, n’ont plus que la valeur historique des primitives représentations d’apparences auxquelles s’est substituée la constatation de l’infrangible enchaînement de phénomènes qui ne nous peuvent découvrir que des activités de changements.

Comme l’océan, en ses marées, la vie jette ses flots à toutes