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LES HOMMES, LES DIEUX

d’anthropoïdes à peine humanisés. Sans aucune parole, s’effondrer animalement devant toutes violences de la terre et du ciel, voilà ce que dut être le premier mouvement des premiers humains encore mal affranchis du stage pithécoïde, avant que l’idée leur pût venir d’une observation déterminée. Mains tendues, tête basse, genoux fléchissants, que faire devant la menace céleste, sinon s’abîmer ? Durable ou répété, l’effarement de nos animaux domestiques aux violences du Maître ne peut que rappeler chez nous le prélude d’un premier effort d’intelligence humaine pour trouver, à tout prix, une accommodation sous ses Divinités.

Le rocher qui tombe, la pierre qui nous déchire, la branche qui nous caresse ou nous cingle au passage, la bête qui nous pique, nous mord, nous frappe ou nous nourrit, marquent des rencontres de « volontés » chanceuses avec lesquelles il faut composer. Aussitôt les puissances divinisées, surviennent les heurts de volontés contraires, où, par la vertu de l’imploration, le faible sera parfois soulagé. Des Dieux bons, des Dieux mauvais ont ainsi vu le jour dans les frémissements du plaisir ou du mal hasardeusement causés. Le premier élan religieux fut d’un geste ou d’un cri, peut-être, avant que le bégaiement même pût gratifier d’un nom la puissance que le geste ou le cri essayaient de désarmer.


Le langage et la pensée.


En dépit du Cratyle, la science du langage est de formation toute moderne : ce qui n’empêche pas le magnifique domaine qu’elle s’est approprié, dans l’histoire de l’homme parlant et pensant, de constituer l’une des plus remarquables conquêtes de la connaissance positive. Il suffit de consulter les belles leçons d’un Max Muller pour y faire apparaître de merveilleuses avenues d’évolution humaine. Nos plus savants critiques ne peuvent qu’admirer.

De tels sujets ne sauraient se contenter d’indications sommaires. Je voudrais borner mes remarques aux premières vues des rapports délicats du langage et de la pensée. Il ne peut être